Carnets de notes - Un monde de paysans

XIV. Les charbonniers

Livre : Un monde de paysans. La basse vallée du Ton entre Vire et Chiers : Description d’un paysage et d’une société rurale.
Remarque : Les superficies sont exprimées en mètre carré ou centiare.

La fabrication du charbon de bois était une activité essentielle au bon fonctionnement des forges. Les charbonniers menaient une vie dure, loin de leur foyer, habitant sans grand confort dans des cabanes dans les bois à côté de leur chantier. Leur hutte, qui pouvait être en partie enterrée, était équipée d’un fourneau. Leur profession demandait une grande expérience, un savoir-faire. Du mois de mars à la mi-novembre, les charbonniers ou fauldeurs s’installaient dans la forêt.

Au 18e siècle, l’inflation du prix du charbon de bois consécutif à un manque de bois pour le produire favorise l’usage du charbon de terre. La profession a commencé à décliner à partir du début du 19e siècle. Si le charbon de bois n’était plus utilisé dans la sidérurgie, ils avaient conservé quelques usages : dans les verreries, pour ses qualités filtrantes, pour les fers à repasser et les chaufferettes de lit et pour les encensoirs pour les services religieux.

Biens immobiliers des charbonniers

Nature Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Terre labourable 64 62,75 % 108.220 79,11 %
Prairie 10 9,80 % 20.610 15,07 %
Jardin 16 15,69 % 6.070 4,44 %
Maison 11 10,78 % 1.044 0,76 %
Verger 1 0,98 % 850 0,62 %
Total général 102 100,00 % 136.794 100,00 %

Fabrication du charbon

Braise du Charbon de bois.
(Romary ; avril 2007 ;
Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license ;
Wikimedias Commons)
)

Le charbon de bois s’obtient par la carbonisation d’une meule de bois de taillis, âgé de 18 à 20 ans, débité en rondin d’un mètre de longueur et d’un diamètre inférieur à 35 centimètres. Ce processus sert à éliminer les impuretés pour ne conserver que le carbone et les minéraux. Le charbon issu des essences de bois dur — chêne, hêtre et charme — se consomme lentement, avec fort dégagement de chaleur. Il est employé pour la fusion. Celui issu de bois tendre — bouleau, peuplier tremble et tilleul — adoucit les métaux. Il est utilisé pour l’affinage.

Lors de la carbonisation, la meule perd un quart du son volume. Bien menée, elle produisait deux tonnes de charbons de bois cassants, légers, à haut pouvoir calorifique.

Préalablement à leur installation, les bûcherons avaient abattu et débité les taillis hors sève. Ils avaient travaillé depuis le milieu de l’automne jusqu’à la fin de l’hiver lors du repos végétatif. La carbonisation du bois coupé six mois auparavant se faisait sur la coupe pour éviter le transport coûteux de matière inutile. C’était une pratique polluante et dangereuse. Il y avait un risque d’incendie et d’asphyxie des arbres voisins. L’activité était surveillée. Les forestiers désignaient les endroits où les charbonniers étaient autorisés à travailler.


La meule avant d'être recouverte de terre. (Wikimedias Commons)

Combustion de la meule. (Wikimedias Commons)

Une meule était bâtie sur une aire de carbonisation appelée fauldes, une surface plane qui doit être à l’abri du vent et rehaussée pour que la pluie ne s’infiltre pas à sa base. La nature du sol est importante. Il doit être imperméable à l’air et poreux pour absorber le goudron — pollution — qui le stérilisera pour plusieurs années. Les charbonniers privilégiaient le réemploi des anciennes fauldes en partie en raison des nuisances [1] qu’ils provoquaient, mais avant tout parce que la préparation d’une nouvelle aire nécessitait de nombreux travaux.

En effet, il faillait décaper l’aire jusqu’à atteindre le sol stérile, le sol dénué de tous matériaux organiques. La surface devait être parfaitement horizontale sinon il y avait des incuits. Suivant le relief, il faillait terrasser ou remblayer. L’aire devait être ceinturée par un fossé circulaire en légère dépression pour que l’eau ne s’infiltre pas sous la meule. Le caniveau recueillait le surplus du jus pyrolytique qui ne s’était pas infiltré dans le sol.

S’il en réutilisait une, le charbonnier devait se contenter de la nettoyer. Il retirait le fraisil, déchet d’une précédente cuisson et ramenait un peu de terre pour entretenir l’aire.

On en trouve encore de nombreuses traces des fauldes dans les forêts, car les charbonniers se déplaçaient au gré des différentes coupes. En Gaume, la densité des aires de carbonisation est d’environ trois unités par hectare. En moyenne, les aires ont une épaisseur de 35 cm et un diamètre de 10 mètres. Au 18e siècle, les trois quarts des forêts étaient exploités pour la fabrication du charbon.

Deux journées de travail et 10 mètres cubes de bois étaient nécessaires pour monter une meule d’une circonférence de 15 mètres et une hauteur de 10 mètres. Au centre de la faulde, les charbonniers dressaient une cheminée d’aération, essentielle pour la combustion, en assemblant des perches qui constituaient l’axe central de la future meule de bois. Ils disposaient verticalement contre la cheminée des couches de rondins de bois d’une hauteur d’environ 60 cm et d’un diamètre de 8 à 18 cm, serrés les uns contre les autres pour limiter la circulation de l’air. En s’écartant du centre, les couches de rondins étaient inclinées. Un second étage était superposé. Des branchages et ramilles étaient posés sur le sommet ou utilisés pour colmater les vides.

Par la suite, ils recouvraient la meule d’une couverture de mousse, fougères, feuilles sèches et foin d’une épaisseur de cinq centimètres. Pour éviter les courants d’air et assurer une combustion lente, ils l’étanchéifiaient grâce à une couche de terre de couverture (terre battue) d’une dizaine de centimètres d’épaisseur doublée de mottes de gazon. Ils retiraient la perche centrale (mat) pour ouvrir une cheminée centrale.

Par cette cheminée, le feu était bouté [2]. Des braises incandescentes, additionnées de petits bois ou de charbons mal cuits y étaient déversées. Le feu se propageait lentement du centre de la meule vers la périphérie et était en permanence contrôlé. La combustion était une opération délicate. À l’oreille, le charbonnier contrôlait le feu. Des évents percés sur le pourtour de la meule permettaient de réguler le tirage. La température montait à 300 à 400 degrés.

Les premières heures de la cuisson, les charbonniers réalimentaient la cheminée jusqu’à la diffusion complète du feu. La carbonisation durait une à deux semaines sous leur surveillance constante, de jour comme de nuit. La meule s’affaissait.

Lorsque la fumée sortant de la cheminée était bleu clair, presque transparente, la cuisson était terminée. Une fois le feu étouffé, il fallait attendre plusieurs jours avant de démonter la meule.

Après refroidissement, à l’aide d’un racleur en bois, les charbonniers ramenaient au sol la couverture de terre, herbes et feuilles. À la nuit tombée, ils défournaient le charbon pour mieux voir les morceaux rougeoyants susceptibles de s’enflammer. Il restait sur l’aire « un mélange de terre et de végétaux calcinés de couverture, et de petits fragments et poussière de charbon de bois, le “fraisil” ou “frasil[i]». « C’est ce fraisil qui constitue l’horizon superficiel noirâtre typique des anciennes aires de faulde dans nos forêts. [ii]»

Un charbonnier raconte : « Les charbonniers entament et pourfendent la pièce de charbon, ils se servent pour cela d’un grand crochet à deux dents qu’ils enfoncent à grands coups dans les flancs de la pièce, en tirant à droite et à gauche tout le charbon que chaque coup de croc peut séparer de la masse et amener à eux.

Derrière le tireur se tient un autre ouvrier armé d’une argue, énorme râteau, avec de très longues dents formant un angle aigu avec la queue au moyen de laquelle on étend le charbon en rangs circulaires d’une hauteur de trois à quatre pieds… [iii]»

En permanence, la meule était surveillée pour éviter toutes reprises du feu.

Le charbon de bois était étendu pour le refroidir avant de le transporter vers les usines sidérurgiques. Après triage, le charbon étaitconditionné dans des sacs de jutes ou des paniers rectangulaires. Les chariots transportant le charbon de bois étaient munis de récipients d’eau pour lutter contre le risque d’incendie.

Au début du 20e siècle, un procédé de carbonisation en four métallique à anneaux s’est répandu.

D’un usage plus facile, il était moins productif, mais offrait un charbon de meilleure qualité.

Annexe

Archives consultées

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

  1. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Bulletins des propriétés — 1822 : Dampicourt ; Montquintin et Couvreux ; Saint-Mard et Vieux-Virton.
  2. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Administration du cadastre, Royaume de Belgique, Bulletins des propriétés — 1844 : Commune de Lamorteau (Lamorteau, Harnoncourt, Rouvroy et Torgny).

Bibliographie

  1. De l’Ardenne à la Lorraine. Forêt et agriculture au Pays de la Semois entre Ardenne et Gaume. Maison du tourisme de la Semois, Florenville, 2008. [pp.23-24]
  2. DELWAULLE, Jean-Claude. L’utilisation du bois dans la tradition paysanne et artisanale comtoise. In Revue forestière française, AgroParisTech, 1980, 32 (S), pp.281-300 ; 10.4267/2042/21469 ; hal-03397245 ; https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03397245 [pp.284-285]
  3. FELTZ, Claude ; INCOURT, Anne-Françoise. Itinéraire de la sidérurgie du XVIe au XXe siècle. Collection Hommes et paysages, no 26. Société Royale Belge de Géographie, Coédition Fondation Universitaire Luxembourgeoise, 1995. [pp.11, 14]
  4. GLOIRE, Laure ; FONTAINE, Justine. Bûcherons, sabotiers et Cie. Les métiers du bois. Weyrich édition, 2015. [pp.91-92, pp.95-101]
  5. HARDY, Brieux ; DUFEY Joseph. Les aires de faulde en forêt wallonne : repérage, morphologie et distribution spatiale. In : Forêt.Nature, no 135, avril-mai-juin, 2015. [pp.19-23, 28, 30]

Notes

[1] Asphyxie des arbres, feuillage grillé, pollution des sols (goudron, stérilisation de l’aire de carbonisation pour plusieurs années).

[2] Pour Claude Feltz et Anne-Françoise Incourt, « on procédait enfin à l’allumage par une rigole horizontale pratiquée à la base de la meule. » (Feltz, 1995, p.14) Tous les autres auteurs consultés disent que l’allumage se fait par la cheminée.


Références

[i] Hardy, 2015, p.23

[ii] ibidem

[iii] Delwaulle, 1980, p.285