Carnets de notes - Un monde de paysans

VIII. Les bois et forêts

La forêt au-dessus de Thonne-les-Près. Percée conséquente de la Chiers et côte bajocienne ou côte de Moselle Nord. (Thonne-les-Près ; Meuse)

Livre : Un monde de paysans. La basse vallée du Ton entre Vire et Chiers : Description d’un paysage et d’une société rurale.
Remarque : Les superficies sont exprimées en mètre carré ou centiare.

Pourcentage d’occupation du sol

Nature Superficie (m²) %
Territoire 43.679.573
Bois 11.812.080 27,04 %

Généralité

En vert, les bois.
Au nord, quelques bois de moindre importance.
Au sud, la forêt de la côte bajocienne dite côte de Moselle.

Il y a 11.000 ans, à la suite d’un réchauffement climatique, le sud de la Belgique et le nord de la France se couvrent d’une immense forêt comprise entre Tongres au nord, les sources de l’Escaut à l’ouest, Reims au sud et le Rhin à l’est. Les Celtes l’ont nommé Arduenna ou Arduina, nom d’une déesse représentée à dos de sanglier, armée d’un arc, avec un carquois rempli de flèches, et accompagnée d’un chien. Jules César a qualifié la forêt d’Ardenne — l’Arduenna silva — de « plus grande forêt de la Gaule ».

De part et d’autre de la frontière, en Lorraine belge et dans le nord des départements français limitrophe, la forêt s’est maintenue sur les « fronts de côtes, les versant redressés des vallées, les affleurements gréseux déchiquetés de l’est de la Lorraine, tous endroits aux sols peu profonds ou aux sols sableux. [i]» La forêt occupe des terrains impropres à la culture. Des sols « squelettiques » ou sableux.

Le revers de la côte sinémurienne est le domaine de la forêt gaumaise. Le sommet de la côte bajocienne est couvert d’une étroite bande forestière de Torgny à Mont-Saint-Martin : « Une hêtraie mélangée très répandue en Lorraine française et de ce côté de la frontière. [ii]» Les côtes de Meuse sont associées à de nombreux bois.

C’est une forêt de feuillus, dont l’espèce dominante, au 21e siècle, est le hêtre. Les autres espèces présentes sont lechêne pédonculé, le chêne rouvre ou chêne sessile, le bouleau, le frêne, l’érable sycomore et plane et le charme. En quelques endroits, des résineux ont été plantés au 20e siècle. Ce sont des mélèzes, des pins sylvestres, des pins noirs d’Autriche, des épicéas communs et des Douglas (pin d’Oregon).

Trop longtemps, la forêt était un taillis « composé d’arbres de petit diamètre que l’on coupe périodiquement, et qui croissent à partir des anciennes souches, par des rejets ou drageons. [iii]» Après une coupe, de nombreuses espèces feuillues « jeunes » ont la capacité de se reproduire par rejets de souches et produire un bois de faible dimension rapidement exploitable pour la production du charbon de bois ou du bois de chauffage.

Qui est propriétaire des bois ?

Professions / Statut Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Institution (Communes) 67 57,26 % 6.307.450 53,40 %
Propriétaires non connus 6 5,13 % 3.851.710 32,61 %
Personne physique sans profession 23 19,66 % 1.090.830 9,23 %
Paysan 20 17,09 % 561.150 4,75 %
Artisan 1 0,85 % 940 0,01 %
Total général 117 100,00 % 11.812.080 100,00 %

Nature des parcelles boisées

Nature Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Bois 114 97,44 % 11.748.580 99,46 %
Plantis 2 1,71 % 62.350 0,53 %
Bosquet 1 0,85 % 1.150 0,01 %
Total général 117 100,00 % 11.812.080 100,00 %

Répartion générale par village

Villages et hameau Superficie %
Saint-Mard 7.230.860 61,22 %
Lamorteau 1.736.940 14,70 %
Torgny 1.190.840 10,08 %
Harnoncourt 908.260 7,69 %
Couvreux 478.450 4,05 %
Dampicourt 233.200 1,97 %
Montquintin 33.530 0,28 %
Total général 11.812.080 100,00 %

Plantis

« Lieu planté. [iv]» (Littré 1874)

Nous trouvons environ 5 hectares de plantis (lieu planté) à Dampicourt. « C’est un terrain compact et humide planté en chênes, aulnes, saules et divers autres bois blancs ; il est contigu au bois qui précède. [v]» Sa valeur est estimée aux trois quarts du bois contigu.  

Bosquet

À Dampicourt, « C’est un terrain de pur agrément situé dans les jardins de la Dame veuve de Neunheuser [vi]». Il est évalué à l’égal à celle des meilleures terres.

Buissons ou broussailles

À Harnoncourt, « les propriétés comprises sous cette dénomination occupent un terrain fangeux situé au-dessus du moulin de Radru. [vii]» Ledit terrain « est couvert de bois blanc et le fond offre une pâture très peu substantielle puisqu’elle ne reçoit point de soleil et qu’elle croit sur un sol constamment humide. [viii]»

La Forêt et les bois

Régimes sylvicoles

La futaie est une forêt de grands arbres issus de graines aux fûts — troncs – droits, élevés et dégagés, destinés à produire du bois d’œuvre. Les arbres ont été semés proche les uns des autres pour se concurrencer dans l’accès à la lumière et pousser avec un tronc dénudé de branches. Une minorité des plants deviendront de grands arbres. Les autres, moins prometteurs, seront coupés plus jeunes lors des coupes d’amélioration.

Il existe trois types de futaies :

Le taillis simple est un peuplement forestier de moindre qualité que la futaie. Il est formé d’arbres de petite dimension issus de la régénération par rejet de souche d’arbres abattus. Ils arrivent vite à maturité (rotation 15 à 30 ans). Les essences sont le chêne, charme, bouleau et sorbier.Jusqu’à la moitié du 19e siècle, les massifs forestiers sont couverts de 80 % de taillis.

Le taillis sous futaie. La forêt comprend deux étages, en sous-bois — étage inférieur — un taillis dominé par une futaie, l’étage supérieur. La densité des taillis en sous-bois cloisonne fortement les vues donnant à la forêt un aspect impénétrable. Nous en rencontrons beaucoup dans les forêts gaumaises.

Les bois du territoire étudié

Le territoire forestier des neuf villages ou hameau se divise en deux paysages distincts :

  1. Les buttes-témoins de la côte bajocienne à l’ouest de l’axe formé par les rivières Chevratte et Ton. (Dampicourt et Montquintin)
  2. Le sommet et le revers de la côte bajocienne. (Harnoncourt, Saint-Mard et Torgny)

Dans l’expertise des communes (1819-1823), les bois se divisent en deux classes, exceptées à Saint-Mard où il y a une troisième classe. Dans les bulletins de propriétés de 1822 à Saint-Mard et Couvreux, il existe quatre classes.


Classe
Villages et hameau 1 2 3 4 5 Non classé Total général
Territoire 32,38 % 24,95 % 9,33 % 1,30 % 0,09 % 31,94 % 100 %

Classe
Villages et hameau 1 2 3 4 5 Non classé Total général
Couvreux 57,25 % 12,82 %
29,94 %

100,00 %
Dampicourt 100,00 %




100,00 %
Harnoncourt 52,14 % 36,07 % 10,63 %
1,15 %
100,00 %
Lamorteau 47,29 % 43,55 % 9,16 %


100,00 %
Montquintin
100,00 %



100,00 %
Saint-Mard 19,47 % 18,60 % 9,62 % 0,14 %
52,18 % 100,00 %
Torgny 51,69 % 35,61 % 12,71 %


100,00 %

1re classe

Territoire des buttes-témoins de la côte bajocienne

En 1822, la commune de Dampicourt est propriétaire de 18 hectares de bois de première classe, formant une parcelle et rangés. « Le bois y est d’assez belle tenue, mais dépérit dès l’âge de 15 à 16 ans. [ix]» Les essences dominantes sont le charme, le coudrier et autre bois blanc mêlé de chêne et peu de hêtres.

À Montquintin, les deux bois sont qualifiés de bois taillis. Le bois Rivaux est sur une terre sableuse. Le bois Là-Haut sur une terre de minerai de fer. Les bois sont « essence de chêne, hêtre et charme, mêlée de beaucoup de coudrier et de saules et d’une venue médiocre. [x]»

Le bois Là-Haut, sis au-dessus de Couvreux, est une portion d’une futaie plus importante au sommet d’une butte-témoin. Il est le prolongement de la forêt communale de Verneuil-Petit.

Côte bajocienne


Entrée de la forêt proche de la croix des Aisements à Torgny.
(Torgny ; Luxembourg belge)

La lisière forestière au-dessus de Lamorteau :
le bois de la Côte, bois de Géline, le Hornul.
(Lamorteau ; Luxembourg belge)

Les bois de première classe sont situés sur le sommet et le revers de la côte bajocienne voisine de la frontière belgo-française. Ils ne forment qu’un seul massif. Ils sont sur le sommet des coteaux à Harnoncourt, sur de beaux plateaux ou dans des pentes douces à Saint-Mard et sur des plateaux ou des revers à Torgny.

Les bois de Saint-Mard et Torgny sont qualifiés de bois taillis. « Il existe, mais en petite quantité quelques portions de taillis sur futaie [xi]» à Saint-Mard.

Le sol de la forêt est une terre blanchâtre argileuse, propre à la végétation (Saint-Mard, Torgny)

Les essences communes aux trois communes sont le hêtre, le charme, les bois blancs. Le coudrier est présent à Saint-Mard et Torgny. Le saule à Torgny.

En fonction des critères de l’époque — une forêt altérée —, les arbres ont une belle tenue,une belle élévation. Ils sont bien peuplés, mais « ne parviennent pas à une grande hauteur [xii]». Les bois de « la première classe diffère de la seconde en ce qu’elle est mieux peuplée et que la végétation y est plus vive. (Harnoncourt) [xiii]»

L’expert qui décrit les bois d’Harnoncourt a un avis tranché qui semble mieux refléter l’état forestier : « Les bois sont médiocres, leur végétation est vive dans le commencement ; mais elle se ralentit lorsque les arbres parviennent à une certaine hauteur ce qui annonce que la terre végétale n’est pas très profonde et que les racines touchent des rochers qu’elles ne peuvent pénétrer. [xiv]»

Les arbres sont exploités à 20 ou 22 ans.

Lieux-dits de référence :

  1. Harnoncourt, section B,lieu-dit au Bois.
  2. Harnoncourt, section C,lieu-dit Harbaufont.
  3. Saint-Mard, section B, lieu-ditbois Cronois.
  4. Torgny, section, B, lieu-ditBois des Aisances.

2e classe

Territoire des buttes-témoins de la côte bajocienne

À Montquintin, les bois de seconde classe — bois communal dit Là-Haut et un bois privé — occupent « un sol rocailleux, que les racines pénètrent difficilement [xv]». Les arbres sont chétifs. L’essence dominante est le coudrier, la seconde essence le saule.

Côte bajocienne

Les bois de seconde classe reposent sur un sol moins « profond et plus granuleux [xvi]» (Saint-Mard) ou « plus froid ou plus pierreux [xvii]» (Torgny). « Les arbres ont moins d’élévation, ils ne sont pas aussi bien peuplés, la croissance est moins hâtive. [xviii]»

Ils sont exploités au même âge que les bois de première classe (Harnoncourt et Torgny). À Saint-Mard, ils le sont à 20 ans.

Lieux-dits de référence :

  1. Harnoncourt, section B,lieu-dit au Bois.
  2. Harnoncourt, section C,lieu-dit Drusigny (du sud à Torgny la commune).
  3. Saint-Mard, section B, lieu-dit Laid Bois.
  4. Torgny, section B, lieu-dit Bois des Aisances.

3e classe

Côte bajocienne

Les bois de troisième classe à Saint-Mard se trouvent « partie dans des revers escarpés, ou sur des terres fortes et humides, le sol y est froid [xix]». Les essences sont les mêmes que dans classe précédents cependant « il s’y trouve un tiers de bois blancs ». « Les arbres ont peu d’élévation. [xx]» Ils sont exploités à 20 ans.

Lieu-dit de référence :

  1. Saint-Mard, section B, lieu-dit Bois de la côte.

Surexploitation et réglementation

Déjà avant l’avènement de la métallurgie, la forêt a subi de nombreuses agressions qui l’on réduit à peau de chagrin. La colonisation de la région, l’explosion démographie, la création de villes et villages, les nécessités des usagers ont provoqué de nombreux défrichements.

Les massifs épargnés sont la propriété des châtelains, des communautés, de « l’état ». Ils en tirent de substantiels revenus en les mettant en coupe réglée pour l’alimentation des forges avec la bénédiction de la Chambre des Comptes de Luxembourg. Jusqu’en 16e siècle, la forêt supporte les prélèvements. La ressource paraît inépuisable.

Du 17e siècle à la fin du 19e siècle, la gestion de forêt s’inscrit dans un cycle maléfique d’abus, de dégradations, de surexploitations et de nouvelles réglementations inefficaces. Dans un premier temps, les coupables sont les maîtres de forges qui exigent leurs fournées de charbon de bois pour leurs hauts fourneaux. Les usines métallurgiques se multiplient dans les vallées. La forêt peine à se régénérer, sa superficie se réduit.

Pour fabriquer une tonne de fer, une forge — au 18e siècle — consommait 1.750 kg de charbon de bois. Au 17e siècle, elle en consommait 2.250 kg. [xxi] Annuellement, une forge absorbait la production de 2.000 hectares de forêt. [xxii]

Ensuite, en Wallonie, les massifs forestiers se réduisent « jusqu’en 1866 sous la pression des défrichements agricoles liés à l’intense pression démographique et à l’insuffisance des emplois industriels dans les villes de cette époque. [xxiii]» Par chance, la forêt gaumaise largement abîmée est peu touchée par ce dernier mouvement.

En quelques siècles, les futaies feuillues, qui avaient résisté à l’extension de l’agriculture, se sont transformées en étendues de taillis appauvris coupés par leurs propriétaires sans respect des rotations de 20 ans.Les autres usagers de la forêt, membres des communautés villageoises, qui bénéficient de nombreux droits d’usages, sont lésés. Au 17e siècle, ils demandent la mise en place d’une réglementation pour protéger leurs intérêts séculaires.

Le 14 septembre 1617, les archiducs Albert et Isabelle (Albert d’Autriche (1559-1621) et son épouse Isabelle-Claire-Eugénie d’Autriche (1566-1633) Gouvernante générale des Pays-Bas méridionaux constatent « la ruine de nos bois et ceux occupés par lesdits usagers. » Les coupes se font « à plaisir çà et là, en toutes saisons, sans grand ordre ni suite, sans donner le temps de recroître ». En conséquence, ils interdirent le « coupage à, plaisir, le cendriller et le sartage. »[xxiv] De 1618 à 1622, deux experts dressent un inventaire détaillé des richesses forestières et des besoins des industries (fours, moulins, forges, affineries). Un règlement, qui peut être qualifié de premier code forestier, définit des règles de gestion : rotation des peuplements, réduction des droits d’usage, interdiction de parcours des jeunes taillis par les troupeaux. Les gardes forestiers, plus voyous que gardien, sont de mèches avec les maîtres de forges. La loi n’est pas respectée. En 1741, un conseiller des Comptes titre la sonnette d’alarme.

Au 18e siècle, la forêt est dans un état préoccupant. La futaie disparaissait. Les taillis dominaient le paysage forestier. La sidérurgie consommait plus de bois que la forêt ne pouvait en produire. Une pénurie de charbon de bois entraîna une augmentation incessante des prix. La législation de 1617 avait été amendée au profit des forges.

En 2012 et 2013, un relevé Lidar des forêts wallonnes complété par des relevés au sol a montré qu’au 18e siècle, les trois quarts de sa superficie forestière étaient consacrés à la production de charbon de bois. La densité spatiale des aires de faulde variait entre 1 et 3 unités par hectare. En Gaume, elle était de 3. Dans ce cas, les meules étaient espacées de 60 à 100 mètres. [xxv]

En grisé, les aires de faulde où étaient brûlées les meules de bois.
La forêt de la côte bajocienne est relativement épargnée par les aires de faulde qui occupent moins de la moitié de sa superficie.

En décembre 1754, Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) promulgue un règlement essentiellement au détriment des usagers (communautés villageoises) qui doivent réduire leurs troupeaux, car ils ne trouvent plus les compléments dans la forêt. Les propriétaires sont autorisés à replanter les parcelles mises à blanc et peuvent couper les arbres de 30 ans.

Rien n’est réglé. Les sanctions sont sans effet. Sous la pression des maîtres de forges, la sidérurgie en déclin parvient à obtenir un plan d’exploitation de la forêt au prorata de sa production. La révolution des futaies — temps nécessaire à la régénération complète de la forêt — est ramenée de 60 à 30 ans. Le bois de chauffage vient à manquer. Les communautés intentent des actions en justice pour récupérer leurs droits usagers anciens.

Les lois françaises, les lois hollandaises sont inefficaces. La généralisation de l’utilisation du coke – charbon de terre délesté par pyrolyse de ses substances fluides et gazeuses, et l’implantation de nouvelles usines dans les bassins houillers entraînent la faillite de la sidérurgie locale. Quelques charbonniers continuent à produire de faible quantité de charbon de bois quantité pour de petites industries régionales. La pression des charbonniers sur la forêt diminue, mais entre 1815 et 1830, le gouvernement hollandais aliène une grande partie de la forêt domaniale.

En 1830, lorsque le Grand-Duché-de-Luxembourg passe en grande partie de fait sous administration du nouvel état belge, la forêt est très dégradée. C’est un taillis comprenant quelques futaies reliques de chênes et de hêtres. Pour limiter sa dette, le gouvernement belge poursuit la politique de cession. Beaucoup de nouveaux propriétaires mènent une gestion à court terme. Ils réalisent rapidement leur investissement et déboisent pour cultiver la terre.

La loi du 25 mars 1847 sur le défrichement des terrains incultes — élaborée en réaction à deux années de disette — provoque une fièvre du défrichement qui fort heureusement a peu de succès en Lorraine belge. Elle impose aux communes la vente des terres communales non exploitées. Pour les conserver, elles boisent une partie de leurs aisances et friches.

Les exploitations forestières doivent s’adapter à de nouvelles demandes, bois de mines pour l’étançonnement des galeries, traverses de chemins de fer, construction des wagons de chemin de fer, qui exigent du bois d’œuvre. La forêt doit devenir une futaie. « Néanmoins, la production ne s’adapte pas nécessairement à l’évolution de la demande et les importations de bois se multiplient. La facilité du recours aux importations apparaît aux yeux de certains intervenants comme la preuve qu’il ne faut pas nécessairement préserver la forêt et que l’on peut déboiser. [xxvi]»

Le recul du couvert forestier et sa dégradation sont à l’origine de deux effets préjudiciables : l’érosion des sols et le tarissement des sources.

En 1854, le code forestier est réformé. Il est axé sur la conservation. Il interdit plus qu’il autorise. Une administration dédiée à la gestion de la forêt est créée. Une politique de régénération des massifs forestiers est mise en œuvre. Le reboisement est encouragé par l’octroi des subsides aux communes, la création de pépinières, la distribution des semences et des plans à bas prix. Il y a une politique d’enrichissement des peuplements.

En 1877, l’école horticole de Gembloux organise un enseignement forestier.

À partir de 1897, l’État belge reconnaît la nécessité de reconstituer son domaine et achète des terres boisées, des terres incultes, et des enclaves pour constituer des massifs.

À la veille de la Première Guerre mondiale, les forêts ont été régénérées. Entre 1914 et 1918, leurs hêtres, chênes, frênes, et érables sont exploités à grande échelle par l’occupant allemand. Les bois sont acheminés en Allemagne ou sur les fronts de la Marne et de Verdun. Les forêts sont appauvries.

À titre d’exemple, « du côté de la ferme de Bar [à Éthe] comme au nord de Chiny, ils vont même jusqu’à poser les rails d’un Decauville (chemin de fer à voie étroite) pour vidanger leurs coupes et amener les grumes à une gare de “grand” chemin de fer à destination de l’Allemagne ou des fronts de Verdun et de la Marne pour les petits bois. [xxvii]»

Si une partie des bois se reconstituent par la germination des semi-naturels, dans d’autres endroits, il faut procéder à des plantations. Les terrains les plus dégradés ou médiocres sont plantés en essences résineuses.

L’impact de la Seconde Guerre mondiale est moindre sur les massifs forestiers.

Un exemple malheureux de défrichement : Le Laid Bois

À l’extrémité droite de la carte, la parcelle défrichée (en brun) est le lieu-dit « Laid Bois ».

Sur le revers de la côte bajocienne, au sud de la commune de Saint-Mard, à la limite de celle de Ruette, un bois avait été défriché au nord de la ferme de Stockfontaine. En 1822, la parcelle cadastrale d’une superficie de 264. 030 m² est un bois de seconde catégorie appartenant à François Victor Bon et consorts. Il n’y a pas de clairière dessinée au nord de la ferme sur la carte dite de Ferraris (1771-1778) ni sur celle de l’Établissement géographique de Bruxelles fondé par Philippe Vander Maelen imprimée en février 1853. Cependant, sur un plan d’assemblage du cadastre primitif de 1840-1843, la parcelle n’est pas boisée.

Le 19 septembre 1878, Monsieur Joseph Noël, cultivateur et débitant demeurant à la Croix Rouge, canton d’Étalle, acquière « un bois mis à blanc-étoc depuis quelques années, d’une contenance totale de vingt-six hectares quarante ares et trente centiares, sis à lieu-dit : Laid Bois : Section A numéro 2138 du cadastre de la commune de Saint-Mard, tenant de levant au bois de Saint-Mard, du midi au même bois et à la ferme de Stockfontaine, du levant au Comte de Briey, du nord au même Comte de Briey et au bois de Saint-Mard. » Le numéro cadastral mentionné dans l’acte est le même que numéro de la parcelle « Laid Bois » du plan cadastral. La contenance est identique.

Sur les cartes du dépôt de la guerre de la période 1865-1880, le bois est une terre nue sans chemin la traversant. Nous ne pouvons déterminer l’année du déboisement.

Le sous-sol de la friche est du calcaire de Longwy. Son sol est limoneux principalement à drainage naturel favorable. Nous nous trouvons dans le Haut Pays Lorrain. À quelques centaines de mètres, de l’autre côté de la frontière, les terres au-dessus d’Allondrellle et de la Malmaison sont de qualités. De nos jours, elles sont cultivées en céréales. L’altitude varie entre environ 398 mètres et 380 mètres. La déclivité orientée au sud est douce. Il n’y a pas d’apparence négative pouvant interdire la mise en culture excepté que cela n’avait jamais été nonobstant la présence d’une ferme contiguë.

En décembre 1878, le couple Noël Orban et leurs enfants respectifs s’installent dans l’ancienne ferme de Stockfontaine. Ils mettent en culture 20 hectares et construisent une imposante ferme lorraine tricellulaire. En 1882, le couple est ruiné. Le domaine et tous les biens de Joseph sont saisis et vendus. En 1883, Joseph Noël et Marie Jeanne Cresson débarquent à Montréal (Québec). Deux ans après, ils achètent « un lot de terre de quarante hectares pour 150 francs, en bois debout qu’il faut bûcher, défricher et y bâtir pour en faire sa résidence » à lieu-dit Chute aux Iroquois aujourd’hui municipalité de Labelle dans les Hautes-Laurentides. Ils y réussissent ce qu’ils n’ont pas pu faire dans leur pays natal.

Il serait hasardeux de rattacher cet échec à un dernier soubresaut de la fièvre de défrichement consécutive à la loi du 25 mars 1847 ou à une opportunité qui a incité Joseph à se constituer un domaine agricole.

Les nouveaux propriétaires ont reboisé la terre. Au 21e siècle, le couvert forestier est un boisement feuillu pour deux tiers et résineux pour l’autre tiers. Sur les cartes datant des années 1930, le bâtiment de la ferme est dessiné. Elle n’existe plus tout comme l’ancienne ferme de Stockfontaine. La nature a repris ses droits.

Droits d’usage et servitudes

La forêt était grevée de nombreuses servitudes dont la majorité a été abrogée en duché de Luxembourg avant la fin du 18e siècle, avant la tourmente de la Révolution française. Il s’agissait de droits de pacage, pâturage des troupeaux, affouage, de prélèvement de bois d’œuvre, prélèvement d’écorces de chêne pour la tannerie, fabrication du charbon de bois, soutirage de la litière (la paille des céréales n’était pas récoltée), cueillettes diverses…[xxviii]

« Chaque village vivait dans une relative autarcie. Menuisier, forgeron, sabotier, tonnelier, vannier, boisselier vendaient leur savoir-faire et leurs fabrications essentiellement aux villageois. Ces artisans bénéficiaient eux aussi du droit de prendre en forêt les bois nécessaires à la construction ou la fabrication d’outils, d’ustensiles de ménage et de meubles.[xxix] » Le droit a été réglementé au fil du temps. Au 18e siècle, il a été soumis à des restrictions. Les prélèvements étaient limités à trois arbres. Lorsqu’un artisan devait en couper plus, il devait justifier de son usage auprès de l’officier forestier et recevoir un certificat justificatif.

Exemple de droits d’usage :

Le panage est la liberté de faire paître les porcs en forêts sous la surveillance obligatoire d’un herdier ou sonreur pour qu’ils s’y nourrissent de glands, de faînes, de noisettes, de châtaignes et de fruits sauvages. Quelques règles encadraient sa pratique. Le panage était autorisé de la fin du mois octobre au début du mois de février. Le nombre de cochons était limité par foyer. Il était interdit de mener les bêtes dans des parcelles où les arbres sont âgés de moins de sept ans.

Mené à bon escient, le panage est bénéfique pour la forêt, car les porcs aèrent la terre, enfouissent les glands et faînes. Ils favorisent sa régénération. Au 19e siècle, l’usage disparaît.

Le pâturage en forêt. Sous certaines réserves, les bêtes à cornes et chevaux sous la surveillance d’un gardien de troupeau (herdier) pouvaient de la fin septembre aux premières chutes de neige parcourir la forêt pour s’y nourrir de graminées, de fougères et mousses. Le droit était soumis à des règles similaires au panage comme l’interdiction de fréquenter les bois âgés de moins de 7 ans. Une rotation était organisée entre les parcelles en fonction de l’âge des bois. Le pâturage des chevaux en forêt se nomme champiage, celui des bovins pacage.

L’affouage est le droit accordé aux communautés villageoises de prendre en forêt du bois de chauffage (bois mort sur pied ou tombé, et arbre mort sans valeur à débiter) sous le contrôle d’un l’officier forestier qui sanctionnait durement les abus. Ce droit perdure encore de nos jours dans certaines communes luxembourgeoises « aux prix de quelques adaptations [xxx]».

L’essartage ou sartage est un droit d’usage plus spécifique qui consiste à gagner des terres cultivables en brûlant une lande ou un taillis après une coupe de bois. Pratiqué à l’automne ou au printemps. Les cendres des mousses, herbes, feuilles, branches et brindilles étaient enfouies dans le sol à la houe. Les paysans les semaient deux années de suites (seigle puis sarrasin). Après deux moissons, le sol était appauvri pour la culture. Le terrain revenait à son état primitif. En repoussant, la forêt régénérait le sol. Après un repos relativement long, jusqu’à 20 ans, le cycle recommençait. Ce droit était lié aux pratiques d’assolement.

Le droit d’écorçage est la liberté d’enlever les écorces des jeunes chênes. Le tannin qu’on en extrayait était utilisé par les tanneries pour rendre les peaux imputrescibles.

L’abrogation des droits d’usages n’est pas l’unique raison à la disparition de ces pratiques. L’intensification de la production des terres cultivées, le regroupement industriel dans les villes entraînant un exode vers celles-ci expliquent en partie cette évolution.

Archives consultées

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

  1. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Bulletins des propriétés — 1822 : Dampicourt ; Montquintin et Couvreux ; Saint-Mard et Vieux-Virton.
  2. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Administration du cadastre, Royaume de Belgique, Bulletins des propriétés — 1844 : Commune de Lamorteau (Lamorteau, Harnoncourt, Rouvroy et Torgny).
  3. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Direction d’Arlon, Expertises des communes, 1819-1823 : Dampicourt ; Harnoncourt (Rouvroy et Lamorteau) ; Montquintin ; Saint-Mard ; Torgny.

Bibliographie :

  1. Architecture rurale de Wallonie. Lorraine belge. Pierre Mardaga éditeur, 1983, Liège. [pp.17, 38-39, 41]
  2. CASTIAU, Étienne, et al. Atlas des paysages de Wallonie. Tome 5. L’Ardenne centrale et la Thiérache. Conférence Permanente du Développement Territorial-SPW, 2014. [pp.58, 73]
  3. CORNEROTTE, Jacques. La Gaume à travers champs, villages et forêts. Syndicat d’Initiative, Virton, 2007. [pp.177, 181-183]
  4. De l’Ardenne à la Lorraine. Forêt et agriculture au Pays de la Semois entre Ardenne et Gaume. Florenville, Maison du tourisme de la Semois, 2008. [pp.23-24, 26-28, 32]
  5. FELTZ, Claude ; INCOURT, Anne-Françoise. Itinéraire de la sidérurgie du XVIe au XXe siècle. Collection Hommes et paysages, no 26. Société Royale belge de Géographie, Coédition Fondation Universitaire Luxembourgeoise, 1995. [pp.12-13]
  6. FOUSS, EdmondP. Sur la structure agraire et le paysage rural de Torgny. Extrait du « Pays gaumais », 9e année, 1948. Virton, Édition du Musée gaumais. [p.5]
  7. GLOIRE, Laure ; FONTAINE, Justine. Bûcherons, sabotiers et Cie. Les métiers du bois. Weyrich édition, 2015. [pp.13-16, 18-19, 21, 23-27, 30, 33]
  8. LITTRÉ, Émile. Dictionnaire de la langue française, tome troisième, I-P. Librairie Hachette, Paris, 1874 ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5460034d
  9. MINISTÈRE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE. La Lorraine Village/Paysage. Ensembles ruraux de Wallonie. Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1983. [pp.14, 16]

Références

[i] Architecture rurale, 1983, p.39

[ii] Cornerotte, 2007, p.179

[iii] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : https://www.cnrtl.fr/definition/taillis (05/01/2023)

[iv] Littré, t3, 1874, p.1154

[v] Expertise Dampicourt, 1819-23

[vi] Expertise Dampicourt, 1819-23

[vii] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[viii] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[ix] Expertise Dampicourt, 1819-23

[x] Expertise Montquintin, 1819-23

[xi] Expertise Saint-Mard, 1819-23

[xii] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[xiii] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[xiv] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[xv] Expertise Montquintin, 1819-23

[xvi] Expertise Saint-Mard, 1819-23

[xvii] Expertise Torgny, 1819-23

[xviii] Expertise Saint-Mard, 1819-23 ; Expertise Torgny, 1819-23

[xix] Expertise Saint-Mard, 1819-23

[xx] Expertise Saint-Mard, 1819-23

[xxi] Feltz, 1995, p.12.

[xxii] Forêt et agriculture, 2008, p.23

[xxiii] Architecture rurale, 1983, p.17

[xxiv] Forêt et agriculture, 2008, p.24

[xxv] HARDY, Brieux ; DUFEY Joseph. Les aires de faulde en forêt wallonne : repérage, morphologie et distribution spatiale. In Forêt.Nature, no 135, avril-mai-juin, 2015.

[xxvi] Castiau, 2014, p.73

[xxvii] Cornerotte, 2007, p.183

[xxviii] DEFRANCE, Louis. La permanence des exploitations familiales agricoles en pays Gaumais. Mouvement de rénovation rurale en Gaume, Virton, vers 1952, p.86 ; Architecture rurale, 1983, p.17

[xxix] Forêt et agriculture, 2008, p.26

[xxx] Gloire-Fontaine, 2015, p.25