Carnets de notes - Un monde de paysans

XVI. Les charrons

Livre : Un monde de paysans. La basse vallée du Ton entre Vire et Chiers : Description d’un paysage et d’une société rurale.
Remarque : Les superficies sont exprimées en mètre carré ou centiare.

« Ouvrier, artisan qui fait des trains de carrosse, des chariots, des charrettes &c. » (Dictionnaire de l’Académie française , 1694 – 1re édition)

« Celui qui fait des chariots, des charrettes, des trains de voiture et particulièrement des roues.[i] » (Littré, 1873)

« C’était un métier spectaculaire, une attraction fascinante pour les petits et les grands qui regardaient les flammes léchant le cercle de fer du bandage et le portant au rouge pour faciliter ses épousailles avec la jante de bois neuf, dans un nuage de fumée odorante. [ii]»

Dans les villages, l’activité économique de la communauté était tributaire de la présence d’un charron qui était capable de construire et réparer tout ce qui roule. Le façonnage et la réparation des trains [1] et des roues des voitures hippomobiles étaient ses activités principales. Il construisait des charrettes, chariots, tombereaux, trinqueballes, brouettes… et éventuellement des charrues, mais dans cette dernière activité, dès le début du 19e siècle, il est concurrencé par les fondeurs qui produisent des charrues de fer à moindres coûts. Il réparait aussi certains outils agricoles comme les charrues et herses.

Le charron avait une bonne connaissance des propriétés mécaniques des différentes essences de bois. Il était précis et savait calculer.Le chariot le plus simple comprenait au minimum une vingtaine de pièces de bois et une dizaine en métal. Sa construction prenait plusieurs semaines. Le charron collaborait avec le forgeron lorsqu’il en avait un dans le village.

Le métier disparaît après la Seconde Guerre mondiale.

Biens immobiliers des charrons

Nature Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Terre labourable 94 69,63 % 231.706 81,47 %
Prairie 13 9,63 % 43.640 15,34 %
Jardin 13 9,63 % 5.673 1,99 %
Maison 10 7,41 % 1.436 0,50 %
Vigne 2 1,48 % 890 0,31 %
Pâture 1 0,74 % 700 0,25 %
Bâtiment 2 1,48 % 373 0,13 %
Total général 135 100,00 % 284.418 100,00 %

Les chariots et charrettes


(Torgny ; Luxembourg belge)

(Chassepierre ; Luxembourg belge)

La charrette à deux roues est constituée d’une caisse (plateau) et deux brancards (pièces de bois entre lesquelles est attelé un cheval).

Cette voiture à un seul train était utilisée pour le transport du foin, de la paille, du bois… La charrette fourragère, plus longue, est équipée d’une échelle à l’avant, d’une à l’arrière. Elle est moins lourde, moins coûteuse et tourne plus facilement que le chariot, mais elle est inadaptée aux transports des lourdes charges et peu maniable dans les chemins difficiles.

Elle est tractée par un seul cheval, bœuf ou âne attaché à une limonière (double et longue branche de bois).

Le tombereau est une charrette robuste constituée de bois de plus grosse section. Pour faciliter le déchargement, il pouvait avoir une caisse basculante. Il était utilisé pour le transport de la terre, du fumier, du charbon, des cailloux…

Le chariot, voiture à quatre roues et deux trains, est destiné au transport des fardeaux les plus lourds. Sa forme et son poids sont adaptés aux régions où il est utilisé. Léger et tiré par un seul cheval en montagne, de grande dimension et attelé jusqu’à huit chevaux ou mulets dans les plaines.

Le triqueballe à deux ou quatre roues de grand diamètre était utilisé pour le transport des troncs d’arbre.

La tonne à deux ou quatre roues était équipée d’un tonneau en bois ou en métal pour le transport de l’eau, du purin ou du lisier.

Fabrication d’une roue

Torgny (Luxembourg belge).

La roue est un cercle entier (contour) garni de rayons (raies) partant d’un point central (moyeu ou noyau), cerclé d’un bandage de fer. Son contour est formé de plusieurs pièces appelées jantes (ou gentes).

Le charron commence par usiner le moyeu — partie centrale de la roue qui guide la rotation autour de l’essieu — à l’aide d’un tour à bois. Chose faite, la pièce séjourne au minimum quatre heures dans une étuve pour qu’elle ne se déforme pas et empêche le déboîtement des rayons une fois la roue montée.

Le second travail demande précision et vigilance. L’artisan évide les mortaises dans lesquelles se ficheront les rayons. Au compas, il divise la circonférence du moyeu pour les répartir régulièrement. Il le consolide en l’enserrant de deux cercles de fer chauffés préalablement à la forge.

Ensuite, le charron façonne les rayons de la roue dans des morceaux de bois fendus pour respecter le fil. Il utilise un couteau à deux mains (plane droite) pour les mettre en forme. Il les polit au racloir avant de tailler le tenon à enchâsser dans le moyeu.

À coup de masse, il enfonce les rayons dans les mortaises du moyeu. Sans sa jante, la roue est dite en hérisson.

Le charron choisi des sections de bois courbe de préférence pour fabriquer les segments de la jante. Il y creuse des mortaises pour y ficher les rayons. Il les assemble à la roue. Il termine son ouvrage au rabot cintré puis au racloir.

À ce stade, la roue n’est pas solide. Au premier usage, elle se démembrerait. Elle doit être cerclée d’un bandage en fer plat, d’une épaisseur de 2,5 cm de moyenne et d’une longueur équivalente à la circonférence. Le cercle est usiné par un forgeron.

Le cerclage des roues se fait les beaux jours. Il nécessite la présence de plusieurs hommes en ce compris le client. Dans le brasier, les cerceaux sont chauffés à 700 – 800 degrés. Lorsque sa teinte est rouge cerise clair, ils sont parfaitement dilatés. À l’aide de pinces, trois personnes au moins les prennent et les placent rapidement sur la roue maintenue sur un support ou par un trépied.

Le cercle est copieusement arrosé. Le refroidissement brutal contracte le métal qui serre l’ouvrage. Accessoirement, l’eau évite à la roue de prendre feu.

Le charron redresse la roue, passe une barre dans le moyeu, et vérifie le centrage de la bande. Si ce n’est pas le cas, rectifie à coup de marteau.

Une boîte dotée de deux oreilles (la beûse) est insérée dans l’axe du moyeu pour lui éviter une trop grande usure. Le charron le graisse. La roue est prête.


(Thonne-les-Près ; Meuse)

(Thonne-les-Près ; Meuse)

Outils

Le parfait charron, planche première, vue n° 49 (Numérisation Google livres)

Le charron utilise essentiellement du petit outillage, à savoir :
1. La tarière pour percer le bois ;
2. Le graissoir (cric) ;
3. L’herminette pour dégrossir le bois ;
4. La hache à planche ;
5. Le chevalet ;
6. Le chantier à percer les jantes ;
7. L’aviron
10. La hache-roue ;
11. La hache à main ;
12. L’enrayoir pour garnir la roue de rais (rayons)
13. Le vidoir ;
14. La selle à joindre ;
15. Le chantier à percer les moyeux ;
16-17. Le grand et petit cabris (cric).

Des bascules ou machines à forer le bois ;
Des filières doubles pour réduire les sections ;
Des clefs anglaises ou des clefs à coulisses pour serrer et desserrer à volonté.

Annexe

Archives consultées

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

  1. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Bulletins des propriétés — 1822 : Dampicourt ; Montquintin et Couvreux ; Saint-Mard et Vieux-Virton.
  2. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Administration du cadastre, Royaume de Belgique, Bulletins des propriétés — 1844 : Commune de Lamorteau (Lamorteau, Harnoncourt, Rouvroy et Torgny).

Bibliographie

  1. BERTHAUX, Louis. Le parfait charron, ou traité complet des ouvrages faits en charronnage et ferrure concernant tout ce qui est relatif à l’agriculture […] au commerce […] aux arts. Dijon, Chez l’Auteur graveur-éditeur, 1844. [pp.1-3]
  2. DELWAULLE, Jean-Claude. L’utilisation du bois dans la tradition paysanne et artisanale comtoise. In Revue forestière française, AgroParisTech, 1980, 32 (S), pp.281-300 ; 10.4267/2042/21469 ; hal-03397245 ; https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03397245 [p.290]
  3. GLOIRE, Laure ; FONTAINE, Justine. Bûcherons, sabotiers et Cie. Les métiers du bois. Weyrich édition, 2015. [pp.149-162]
  4. LEBRUN. Manuel du charron et du carrossier, ou l’art de fabriquer toutes sortes de voitures, tome premier. Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1833. [pp.77-78, 95-96, 100-101, 121, 136, 139]
  5. LITTRÉ, Émile. Dictionnaire de la langue française, tome premier, A-C. Librairie Hachette, Paris, 1873 ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5406710m

Notes

[1] « Assemblage des parties qui supportent et font rouler les voitures. » (Lebrun, 1833, p. 77)


Références

[i] Littré, 1873, t1, p. 569

[ii] Delwaulle, 1980, p.290