Carnets de notes - Un monde de paysans

XI. Les journaliers et manouvriers

Livre : Un monde de paysans. La basse vallée du Ton entre Vire et Chiers : Description d’un paysage et d’une société rurale.
Remarque : Les superficies sont exprimées en mètre carré ou centiare.

Définitions du Dictionnaire de l’Académie française.

Manouvrier :

  1. Le mot n’est pas dans la première édition.
  2. 1718 et 1740 – 2e et 3e édition : Ouvrier qui travaille de ses mains.
  3. 1762 à 1878 – 4e à 7e édition : Ouvrier qui travaille de ses mains, & à la journée.

Manœuvre :

Cette définition reste inchangée jusqu’en 1878 (7e édition).

Pourcentage du territoire détenu par journaliers et manouvriers

Nature Superficie (m²) %
Terre labourable 1.257.048 5,35 %
Prairie 215.328 3,10 %
Territoire 1.570.926 3,60 %

Généralité

Le journalier est un « homme travaillant à la journée [i]». Le manouvrier est un « ouvrier qui travaille de ses mains, et à la journée. [ii]» Si à certaines époques, il semble exister une subtile distinction sociale entre les deux, au 19e siècle, ce sont deux appellations synonymes.

Les journaliers et manouvriers n’ont ni métier fixe, ni bien en suffisance, ni assurance du lendemain. Dans la pire des cas, ce sont desmisérables sans-terre et sans métier. Dans les villages agricoles, ils travaillent pour les plus gros cultivateurs lorsque ceux-ci en ont besoin, pour les travaux de la fenaison, de la moisson et du battage des grains en hiver.

La dénomination de journalier agricole s’étend aux artisans et petits paysans dont l’activité peu rémunératrice les contraint de louer saisonnièrement leurs bras au gros exploitant. Nous ne pouvons pas les identifier dans les bulletins de propriétés de 1822 et 1844. Ils y sont qualifiés de cultivateur ou du nom de leur métier d’artisan.

Dans son étude sur levillage picard, HenriHITIER évoque le paiement des journalier ou manouvrier en nature, informations que je n’ai jamais rencontrées dans mes autres documentations. Ils percevaient une quote-part de la récolte :« Comme paiement, il recevait la treizième botte de ces céréales, et, au moment des charrois de la récolte, l’agriculteur pour le compte duquel il avait travaillé menait la part qui revenait à son moissonneur dans la grange de ce dernier. [iii]»

« Ces toutes petites gens peuvent grouper 30 à 40 % de la paysannerie. Ils se distinguent mal de la masse des pauvres du village, où ils viennent se fondre lors des crises : veuves sans ressources, handicapés, simples d’esprit, que la communauté ne rejette et tente de secourir. [iv]»

La ferme unicellulaire est considérée comme étant l’habitation du journalier. La ferme bicellulaire est dite celle du manouvrier. Toujours cette subtile distinction sociale.

Dans les bulletins de propriétés du 19e siècle, quelques journaliers-manouvriers ont autant de biens que certains propriétaires qualifiés de « cultivateurs ». Les moins nantis possèdent un jardin potager de moins d’un are, le plus nanti qualifié de « journalier » est propriétaires d’un domaine 5 hectares. Un cinquième est propriétaire au minimum d’un hectare de terre qu’ils doivent faire labourer par un cultivateur propriétaire d’une charrue. La séparation sociale entre les deux groupes sociaux est floue. Il y a une continuité. Certains manouvriers exercent accessoirement une activité agricole, d’autres peuvent être qualifiés de cultivateurs non indépendants exerçant à titre complémentaire une activité de manouvrier-journalier.

Si pour une partie des journaliers-manouvriers, il s’agit d’un statut social définitif, pour une autre partie, c’est un état transitoire. Jeunes ménages, enfants de cultivateur, qui commence à se constituer leurs propres exploitations agricoles. Processus qui prend du temps. Il faut pouvoir acheter les terres qui se libèrent. En attendant d’être autonomes, ils sont fort probablement les manouvriers de leurs parents et beaux-parents qui tout en vieillissant doivent continuer à exploiter leur domaine.

Anciennement, il existait une troisième catégorie, le valet de ferme qui avait la garantie d’être employé à l’année.

Biens immobiliers des journaliers et manouvriers

Nature Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Terre labourable 742 58,94 % 1.257.048 80,02 %
Pré 143 11,36 % 215.328 13,71 %
Jardin 144 11,44 % 45.212 2,88 %
Terre vaine 7 0,56 % 17.219 1,10 %
Maison 182 14,46 % 14.760 0,94 %
Vigne 8 0,64 % 12.530 0,80 %
Verger 9 0,71 % 3.530 0,22 %
Pâture 1 0,08 % 2.330 0,15 %
Inculte 4 0,32 % 2.070 0,13 %
Bâtiment 6 0,48 % 296 0,02 %
Écurie 9 0,71 % 288 0,02 %
Grange 1 0,08 % 140 0,01 %
Four à pain 1 0,08 % 135 0,01 %
Cave 1 0,08 % 24 0,00 %
Chapelle 1 0,08 % 16 0,00 %
Total général 1.259 100,00 % 1.570.926 100,00 %

Taille des exploitations

Exploitation Nombre % Superficie (m²) %
Moins de 1 ha 193 79,10 % 501.854 31,95 %
De 1 à 2 ha 33 13,52 % 450.655 28,69 %
De 2 à 5 ha 15 6,15 % 378.652 24,10 %
De 5 à 10 ha 3 1,23 % 239.765 15,26 %
Total général 244 100,00 % 1.570.926 100,00 %

La distinction entre petit cultivateur et journalier-manouvrier est ténue. Les premiers peuvent avoir moins de biens que les seconds.

Annexe

Archives consultées

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

  1. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Bulletins des propriétés no 1822 : Dampicourt ; Montquintin et Couvreux ; Saint-Mard et Vieux-Virton.
  2. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Administration du cadastre, Royaume de Belgique, Bulletins des propriétés — 1844 : Commune de Lamorteau (Lamorteau, Harnoncourt, Rouvroy et Torgny).

Bibliographie :

  1. Architecture rurale de Wallonie. Lorraine belge. Pierre Mardaga éditeur, 1983, Liège. [p.78]
  2. BIANCHI, Serge ; BIARD, Michel, FORREST, Alan ; GRUTER, Édouard ; JACQUART Jean. La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne du début du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle. Paris, Armand Colin, 1999. [pp.101, 202]
  3. BOEHLER, Jean-Michel. Communauté villageoise et contrastes sociaux : laboureurs et manouvriers dans la campagne strasbourgeoise de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle. In : Études rurales, no 63-64, 1976. Pouvoir et patrimoine au village — 1. pp. 93-116 ; doi : https://doi.org/10.3406/rural.1976.2170 ; https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1976_num_63_1_2170 [pp.94, 101]
  4. HITIER, Henri. Le village picard. In : Annales de Géographie, t. 12, no 62, 1903. pp. 109-119 ; doi : https://doi.org/10.3406/geo.1903.6301 ; https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1903_num_12_62_6301 [pp.114-115]

Références

[i] Dictionnaire de l’Académie française, 1694 – 1re édition, http://www.dictionnaire-academie.fr/article/A1J0046-04

[ii] Dictionnaire de l’Académie française, 1762 à 1878 – 4e à 7e édition, http://www.dictionnaire-academie.fr/article/A4M0291

[iii] Hitier, 1903, p.114

[iv] Bianchi et all, 1999, p.101