Carnets de notes - Un monde de paysans

IV. Habitations et fermes lorraines

Un îlot d’habitations et fermes lorraines le long de la D 643, à la sortie de Thonnelle en direction de Montmédy. (Thonnelle ; Meuse)

Livre : Un monde de paysans. La basse vallée du Ton entre Vire et Chiers : Description d’un paysage et d’une société rurale.
Remarque : Les superficies sont exprimées en mètre carré ou centiare.

Pourcentage d’occupation du sol

Nature Superficie (m²) %
Territoire 43.679.573
Maison 109.971 0,25 %

Généralité

La maison paysanne est le reflet de ses fonctions, de la condition sociale de son propriétaire, et de son terroir. L’habitation ferme lorraine s’inscrit « dans une tradition d’assolement céréalier associé à un petit élevage. [i] » Dans un unique bâtiment coexistent une habitation et toutes les annexes agricoles — grange, écurie, fenil — indispensables au fonctionnement du domaine agricole.

La ferme lorraine est une maison bloc en long sous un toit en bâtière. Elle est jointive, alignée en mitoyen, généralement dans un ensemble de quatre à cinq bâtiments. Ces îlots bâtis sont eux-mêmes organisés en village-rue.

C’est un édifice sans plan — une architecture vernaculaire sans architecte — élevé avec l’aide d’artisans et de la communauté villageoise. À leur base, les murs ont une épaisseur de 70 à 80 centièmes et s’amincissent en montant. La nature du sous-sol n’exige pas de grosses fondations. Les éléments constitutifs sont intégrés au fur et à mesure (cheminée en pierre, linteaux, pieds droits moulurés).

Les matériaux utilisés sont locaux : les murs sont faits de grès jurassiques gélifs exigeant un crépi de protection.

La maison possède deux espaces utilitaires extérieurs.

À l’arrière, le jardin privatif « meix » en lanière, parcelle plus longue que large comme les terres labourables. C’est un espace privé où l’on cultive notamment de petits légumes pour l’usage de la famille.

Du côté de la rue, la maison est précédée d’un usoir, un espace public en légers devers, dont le propriétaire de la maison en a l’usage pour y entreposer son bois de chauffage, entasser son fumier, ranger ses attelages et outils agricoles. C’est la cour de la ferme « où s’ordonne la vie collective de chaque jour.[ii] »

L’usoir n’est jamais clôturé, ne peut être sujet à l’appropriation particulière. C’est une propriété communale.

Le tas de fumier,qui trônait sur l’usoir, était un indicateur social. Il est proportionnel à l’importance du cheptel de la ferme donc à la richesse affichée du paysan. Dans le langage populaire, l’appellation « un gros tas de fumier » n’était pas insultante et désignait une personne aisée.

Nombre de maisons par villages ou hameau et superficie construite

Village Nombre de parcelles cadastrales % Superficie (m²) %
Saint-Mard 138 23,43 % 21.306 19,37 %
Torgny 127 21,56 % 19.808 18,01 %
Lamorteau 94 15,96 % 18.315 16,65 %
Harnoncourt 70 11,88 % 14.260 12,97 %
Dampicourt 57 9,68 % 12.609 11,47 %
Vieux-Virton 38 6,45 % 9.010 8,19 %
Couvreux 32 5,43 % 5.359 4,87 %
Montquintin 21 3,57 % 6.578 5,98 %
Rouvroy 12 2,04 % 2.726 2,48 %
Total général 589 100,00 % 109.971 100,00 %

Classification fiscale des habitations (1822)

Trois critères sont pris en compte par l’expert du cadastre pour évaluer les maisons :

Il n’y intègre pas « la superficie ni celle des bâtiments ruraux, cours et dépendances. »

La grille d’évaluation comprend dix classes.

Classe
Villages et hameau 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Non classé Total général
Territoire 21 23 7 20 21 51 83 130 141 60 23 9 589

Classe
Villages et hameau 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Non classé Total général
Couvreux 12 2
1 2 3 9 3



32
Dampicourt
7 2 3 4 8 12 21



57
Harnoncourt


2 2 7 10 12 33 4

70
Lamorteau
1 1 1 3 3 11 28 41 5

94
Montquintin 4 4
1 1 2 8 1



21
Rouvroy
1

1 1 1 1 4 3

12
Saint-Mard 4 5 1 9 5 11 15 20 20 22 21 5 138
Torgny
1 2 2 2 13 13 37 38 17
2 127
Vieux-Virton 1 2 1 1 1 3 4 7 5 9 2 2 38
Total général 21 23 7 20 21 51 83 130 141 60 23 9 589

Excepté pour la commune de Montquintin, l’expertise de 1819-1823 [iii] ne décrit pas la méthodologie utilisée. Notre interprétation se basera principalement sur le Tableau de classification des propriétés foncières de cette commune.

Habitation de première classe :

Habitation de seconde classe :

Habitation de troisième classe :

Habitation de quatrième classe :

Habitation de cinquième classe :

Habitation de sixième classe :

Habitation de septième classe :

Les maisons des classes 2 à 10 sont habitées par des propriétaires, agriculteurs, manœuvres ou artisans. Aucune n’est louée ou affermée.

À Dampicourt, une maison de première classe et cinq « rangées dans les classes 2e et 3e classe, sont les seules couvertes en ardoise. [viii]» Les autres habitations ont un toit en chaume ou en tuiles.

Les maisons de Lamorteau sont sujettes aux débordements du Ton.

En 1844, la règle de classification semble avoir changé. Les habitations de première catégorie sont plus nombreuses.

Classe Nombre %
8 141 23,94 %
7 130 22,07 %
6 83 14,09 %
9 60 10,19 %
5 51 8,66 %
1 23 3,90 %
10 23 3,90 %
0 21 3,57 %
4 21 3,57 %
3 20 3,40 %
Non classé 9 1,53 %
2 7 1,19 %
Total général 589 100,00 %

Toutes les inégalités sociales déjà évoquées sont mises en valeur de manière criante dans le présent tableau. Les maisons de la 6e à la 9e catégorie représentent 70 % des habitations. Les classes 3 à 5, 15,6 % presque autant que les deux premières catégories (5,09 %).

Qui est propriétaire des habitations ?


Classe
Profession ou statut 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Non classé Total général
Paysans (cultivateurs et journaliers) 3 10 3 10 10 23 48 62 80 32 12 1 294
Artisans 4 5 1 2 3 17 20 45 39 11 1 2 150
Personnes physiques sans profession 7 6 3 6 4 6 12 9 12 16 10 2 93
Aubergiste — cabaretier
1
2 2 3 1 1 3

1 14
Institution 6


1

2 2

2 13
Métier d’autorité





1 7 2


10
Commerçants 1


1 1
3 2


8
Autre profession
1


1 1 1 1 1
1 7
Total général 21 23 7 20 21 51 83 130 141 60 23 9 589

Organisation de fermes lorraines en cellules

La ferme est organisée en cellule, en « travée perpendiculaire à la rue, délimitée par les murs gouttereaux d’une part et les murs de refend parallèles au pignon d’autre part [ix] », dont la largeur est rarement supérieure à 4 mètres, portée ordinaire d’une poutre de faible section.

C’est une séquence de fonctions : Logis, stabulation, engrangement. Chaque activité se pratique dans un espace déterminé.

« L’alignement mitoyen des maisons à front de rue ayant pour conséquence logique de répartir sur la seule façade les différents accès aux cellules principales, les travées s’affirment donc et s’identifient par leur porte. [x] »

La typologie des fermes lorraines est en règle générale un indicateur social de la condition de son propriétaire. L’habitation bicellulaire est celle du manouvrier. La tricellulaire est, par excellence, la ferme du laboureur ou cultivateur propriétaire de ses terres. L’agrandissement, la possession d’un plus grand domaine agricole engendre la multiplication des cellules fonctionnelles : écurie différenciée de l’étable, grange supplémentaire, laiterie, bergerie, atelier… Ces bâtiments sont qualifiés de fermes quadricellulaires ou multicellulaires (plus de quatre cellules).

Ferme unicellulaire

Maison de droite : Ferme unicellulaire.
Maison de gauche : Ferme bicellulaire.
(État inhabité 2016 ; Breux ; Meuse)

La maison plus profonde que large occupe une travée. C’est la maison des plus pauvres, la maison des journaliers qui n’ont que leurs bras pour vivre. Les hommes et les animaux se partagent le peu d’espace disponible.

La porte d’entrée est commune. Un couloir permet aux bêtes de rejoindre l’étable côté jardin, et au journalier, et sa famille de gagner leur logement réduit à une pièce côté rue (pièces en enfilade). Il n’y a pas d’étage. La partie supérieure du bâtiment est un fenil, accessible, soit par une fenêtre gerbière en façade, soit par une trappe dans l’étable.

Si elle est construite sur un terrain à forte déclivité, l’étable peut se trouver sous le logis.

Ferme bicellulaire

Ferme bicellulaire. (État inhabité 2016 ; Chauvency-Saint-Hubert ; Meuse)

La ferme bicellulaire est la demeure des manouvriers et des petits artisans. C’est la ferme d’une petite exploitation agricole de taille insuffisante pour permettre à son exploitant de vivre de cette seule activité.

La ferme possède deux travées : un logis et une cellule agricole (grangette, grange-écurie, étable). La grange est parfois plus profonde que le corps de logis (décrochement en façade arrière). La récolte est engrangée au-dessus de l’étable et du logis.

La travée agricole peut être divisée en deux espaces distincts — étable et grangette — qui occupe respectivement l’avant ou l’arrière de la cellule. Si la grange occupe le devant, la façade affichera une porte charretière, sinon, elle affichera une porte d’étable. Selon la configuration intérieure, le fenil sera ou non accessible par une fenêtre gerbière.

La ferme à deux travées était très courante en Lorraine belge (40 à 50 % du bâti gaumais au 18e et 19e siècle).

Ferme tricellulaire

Ferme tricellulaire. (État inhabité 2016; Villécloye ; Meuse)

Cette ferme alignant successivement un logis, une écurie et une grange est par excellence adaptée à la polyculture et au petit l’élevage dans un village. L’importance d’une ferme est proportionnelle au domaine agricole. La ferme tricellulaire — ferme des laboureurs et cultivateurs — reflète une exploitation de plusieurs hectares suffisamment ample pour faire vivre aisément une famille.

C’est le modèle de ferme le plus rependu en Lorraine. La ferme typique représentée dans tous les manuels et guides touristiques.

D’un plan carré à l’origine, elle s’est élargie au 19e siècle pour devenir plus profonde que large.

Dans les plus belles, la cellule logis peut être divisée en deux ou trois travées où nous trouverons un couloir central distribuant de part et d’autre deux pièces. En façade, la porte d’entrée sera encadrée par deux fenêtres.

Dans de rares cas, la grange est à côté du logis et l’écurie rejetée à l’extrémité du bâtiment.

Ferme multicellulaire


Deux fermes multicellulaires.

(État inhabité 2018 ; Thonnelle ; Meuse)

Les fermes multicellulaires, comprenant au minimum quatre cellules, sont essentiellement issu de l’agrandissement d’un bâtiment préexistent par suite de l’accroissement du patrimoine foncier de son exploitant dans le courant du 19e siècle. Elles sont moins nombreuses dans les villages que les fermes plus petites prédéfinies.

La multiplicité des cellules est consécutive à l’augmentation des récoltes céréalières à engranger, à l’augmentation des chevaux nécessaires pour le travail, à la multiplication du matériel agricole, au besoin de « logement » pour les ouvriers et domestiques de ferme.

L’écurie est séparée de l’étable.

Les travées

Habitation

Le corps de logis est le module de base, celui qui est commun à toutes les fermes. Au rez-de-chaussée, il est composé de deux pièces en enfilade : une cuisine ouverte sur la rue et une belle chambre dite « le pèle » à l’arrière. Les pièces sont éclairées par une fenêtre.

À l’étage, nous retrouvons la même distribution : une chambre donnant sur la rue, une donnant sur le jardin.

Lorsque le pignon du logis n’est pas mitoyen, une troisième pièce peut être enclavée entre la cuisine et le pèle et éclairée par une fenêtre.

Cuisine

La cuisine est la pièce maîtresse du logis. La seule pièce chauffée où la famille se rassemble pour manger, discuter et travailler le soir à la lueur du feu de l’âtre. C’est le noyau autour duquel s’organisent tous les flux de circulations de la ferme.

La cuisine donne sur la rue. Traditionnellement, à la bonne saison, la porte est toujours ouverte permettant à n’importe qui d’y entrer pour demander le maître des lieux.

De la cuisine part un escalier montant aux chambres de l’étage et un descendant à la cave.

Une ouverture creusée dans le mur donne accès à l’étable contiguë à la cuisine pour faciliter la surveillance et le soin des animaux.

Équipements de la cuisine :

La cuisine est équipée d’un mobilier rudimentaire, sobre et de qualité. Une table qui peut servir de pétrin, des bancs et chaises, des coffres, et si l’habitant a plus de ressources un vaisselier ou un dressoir.

Tardivement, une cuisinière à bois ou charbon remplacera le foyer.

La cheminée :

Au fond de la pièce, la cheminée est adossée sur la quasi-totalité du mur de refend la séparant du pèle. Son importance nécessite un mur d’une épaisseur identique aux murs extérieurs de la maison. Elle est surmontée d’une énorme hotte en forme de pyramide prolongée par le conduit de cheminée. La hotte repose sur une poutre de chêne d’environ trente centimètres de section.

Dans sa partie inférieure, une ouverture pratiquée dans le mur, bouchée par une taque en fonte, permettait la diffusion de la chaleur dans la belle chambre. Jusqu’à la généralisation des poêles en fonte, le foyer était la seule source de chaleur dans la maison.

Les taques, productions locales fondues dans les forges d’Orval, Châtillon ou Saint-Léger, pouvaient être millésimées et ornées d’armoiries. Objets mobiles, elles ont souvent été réemployées et le millésime à lui seul ne peut servir à dater la construction de la maison.

La hotte pouvait servir de fumoir. Parfois, un four à pain dédoublait la cheminée.

L’évier :

L’évier ou pierre à eau est une vasque en calcaire gréseux, schiste ou pierre bleue encastrée dans l’embrasure de la fenêtre pour bénéficier de la lumière. Dans les maisons disposant d’un puits, il est alimenté par une pompe à bras.

Il est percé d’un trou relié à une goulotte en plomb traversant le mur de façade et aboutit à un dégorgeoir. Lors de la vidange, les eaux usées sont rejetées loin du parement.

Pèle

Seconde pièce du rez-de-chaussée, le pèle est la belle pièce de la demeure. Il a une double fonction : Chambre à coucher du propriétaire et salle à manger pour les grandes occasions.

Chambre des parents, des enfants en bas âge, des malades, il servait aussi de chambre mortuaire.

La pièce est chauffée par une ouverture pratiquée dans le mur et une taque — lourde plaque de fonte — qui l’isole du foyer et rayonne sa chaleur sèche. Une armoire à taque masque le dispositif. L’ouverture de ses portes inférieures permet de réguler la chaleur.

L’armoire à taque qui habille l’ouverture pratiquée dans le mur est un des meubles les plus remarquables de la Lorraine. Le placard est inséré dans le mur. Sa partie supérieure est une niche qui sert au rangement. Sa partie inférieure est l’ouverture dans le mur de refend de la cuisine.

À partir de la fin du 18e siècle, la pièce commence a été équipé d’un poêle à bois en fonte qui lui donnera son nom dialectal. Au 19e siècle, la généralisation des poêles et des cuisinières à bois ou charbon rendra obsolète cet aménagement.

Dans cette pièce se trouvait le beau mobilier : Coffre, table, armoire, vaisselier, buffet lorrain, lit à alcôve ou à courtines. La qualité du mobilier dépendait bien entendu de la richesse du propriétaire de la maison. Le planché de cette pièce pouvait être en chêne et le plafond agrémenté d’une frise.

Le mobilier lorrain exposé dans les musées et écomusées n’est pas antérieur au 18e siècle et a été produit pour le plus grand nombre au 19e siècle.

Chambre au rez-de-chaussée

Dans quelques maisons, il existe une chambre supplémentaire au rez-de-chaussée. Son usage est indéterminé. Il peut s’agir d’une chambrette, d’un débarras ou d’une buanderie.

Cave

Lorsqu’il en existe une, la cave est creusée sous la cuisine. On y accède par un escalier en général placé sous celui de l’étage. La cave peut être voûtée ou séparée de la cuisine par un simple plancher en bois.

Écurie


(Thonne-le-Thil ; Meuse)

Montlibert (Signy-Montlibert ; Ardennes)

Dans la région, le terme écurie est utilisé pour désigner le local abritant les chevaux et les bovins. Les animaux se partagent la même cellule sauf dans les fermes multicellulaires. Jusqu’au millier du 19e siècle, c’est « la dépendance maîtresse [xi]» de la maison lorraine.

L’écurie occupe la seconde cellule de la ferme, au plus près de la cuisine, pour faciliter la surveillance des bêtes qui constitue une richesse matérielle et faciliter la distribution des soins.

Les chevaux sont placés à l’entrée de la travée, car c’est « une richesse plus exigeante encore en soins [xii]» que les bestiaux — au nombre de 8 à 10 têtes de bétail par exploitation [xiii] en général — parqués à l’arrière. Deux à trois cochons sont entassés dans un coin, mais ils peuvent l’être dans une remise au jardin. Sur la façade de quelques écuries, nous pouvons voir une lucarne à poule signe de la présence des gallinacés dans la cellule.

Dans de rares cas, il y a une inversion de l’organisation des cellules agricoles. L’écurie-étable est rejetée à l’extrémité de la ferme. La grange s’intercale entre elle et le logis. Est pour des raisons hygiéniste ?

Le sol de l’écurie pavé de gros pavé en calcaire gréseux est légèrement incliné vers une rigole évacuant le lisier vers l’extérieur et un passage latéral permettant la circulation dans l’aire de stabulation.

Les mangeoires sont alignées sur toute la profondeur du mur de refend de la grange.

La porte de l’écurie à deux battants permet d’aérer le local sans craindre les courants d’air au niveau du sol, ni l’intrusion des nuisibles. Une petite baie sur son côté permet de légèrement éclairer la cellule lorsque la porte est fermée.

Dans les fermes lorraines, il n’existe pas de fosse à purin. Le fumier est stocké sur l’usoir. L’état sanitaire du bétail est considéré comme médiocre [xiv].

Isolation du plancher

La cohabitation d’un nombre important de gros animaux dans un espace restreint, clos, mal ventilé, sature l’atmosphère de l’étable en odeurs nuisibles et émanations d’ammoniac nuisible à récoltes engrangées dans le grenier par-dessus.

Le plafond des écuries-étables est en conséquence isolé par la pose d’une couche de terre battue mélangée à des débris de paille sur le plancher dudit grenier.

Entretien

L’écurie est entretenue à la belle saison lorsque les animaux sont en pâture. Les murs sont nettoyés, désinfectés et chaulés d’un badigeon. La chaux écarte les insectes, protège les murs de l’humidité et de l’attaque de l’acide urique.

Grange


(Frenois ; Montmédy ; Meuse)

Montlibert (Thonnelle ; Meuse)

La grange est la cellule directement rattachée à l’agriculture, l’écurie voisine étant dédiée à l’élevage. C’est le passage charretier utilisé par lequel on engrange les récoltes dans les fenils sous les combles, l’aire de battage des céréales et la remise à chariots l’hiver.

En façade, la grange est signalée par sa porte charretière d’une largeur identique à celle de la travée. Cette porte à deux vantaux en planches assemblées sur traverses devait être suffisamment large et haute pour permettre le passage des grands chariots qui y entraient en marche arrière en l’absence d’une sortie à l’arrière. Elle se fermait à l’aide d’une barre de levier. Des bornes chasse-roues protégeaient son encadrement.

Quelquefois, la grange est faiblement éclairée par un oculus. Elle est aérée ainsi que les fenils et combles par des ouvertures sous la corniche qui évacuent les gaz de fermentation des récoltes et ceux de l’écurie. Son sol est en terre battue.

Si dans la ferme tricellulaire « classique », la grange est la travée la plus étroite, il existe de nombreux exemples où elle a une taille plus importante faisant d’elle la dépendance agricole maîtresse de la demeure.

Battage des grains

Le battage est l’opération consistante à séparer les grains de l’épi à l’aide d’un fléau (long manche en bois lié à une lourde batte par une boucle en cuir), d’un rouleau de pierre ou de bois, d’une machine à battre ou à l’aide des pieds des chevaux. Il se pratiquait en hiver, à l’avant aéré de la grange.

Avant la mécanisation, le battage au fléau était un travail de force. Le battage se pratiquait en groupe et en cadence. Durant six heures, le paysan assenait jusqu’à 10.800 coups à l’aide de deux bâtons attachés l’un au bout de l’autre par des courroies, dont le plus long des deux servait de manche.

Dans le courant du 19e siècle, le développement des batteuses mobiles ou portatives mue par des animaux, un moulin à eau ou une machine à vapeur permit une économie de temps et de moyens, et réduit la perte de grains.

Nettoyage des grains

Après le battage, le bon grain doit être séparé de la mauvaise paille (balle) et des mauvais grains.

Les épis décrassés étaient agités dans un van en osier. Les poussières et pailles plus légères s’envolaient. Finalement, il ne restait plus que du grain. C’était un travail lent et fatigant.

Si l’agriculteur en avait les moyens, le travail pouvait se faire plus facilement à l’aide d’une machine simple appelée grand van ou tarare. Une telle machine est exposée au musée de la Vie paysanne à Montquintin.

Tarare ou ventilateur.
BARRAU, Théodore-Henri ; HEUZÉ, Gustave. Simples notions sur l’agriculture,
les animaux domestiques, l’économie agricole et la culture des jardins,
nouvelle édition refondue conformément au programme officiel
pour l’enseignement agricole dans les écoles rurales et les écoles normales...

Paris, Librairie Hachette, 1879, p.56 ;

Vanneuse à grain.

(Torgny ; Luxembourg belge)

Fenil

Le fenil est le lieu de conservation du foin et par extension des gerbes de céréales. C’est un local sec et à l’abri des rongeurs. Il se situe dans les combles, au-dessus de l’écurie ou sur des greniers supplémentaires, au-dessus de la grange, appelés tabâ. Il n’est jamais rempli jusqu’au haut de la toiture. En hiver, il isole du froid les pièces ci-dessous.

La récolte est engrangée par la grange sauf dans les plus petites fermes par une porte-gerbière en façade. Les grains sont étendus en couches ou tas le moins épais possible, et remués régulièrement à l’aide de pelle pour prévenir toute fermentation.

Les combles sont aérés par de petites fenêtres dans le haut des murs gouttereaux. L’air circule librement.

Les ouvertures

Dans les fermes lorraines, les ouvertures se situent essentiellement sur la façade en front de rue et témoignent de l’affectation des travées. Il y a peu d’ouverture à l’arrière et sauf cas exceptionnel, aucune baie dans les murs pignons même s’ils ne sont pas mitoyens.

Types d’ouverture :

Les fenêtres


Fenêtre d’un logis. (Quincy ; Meuse).

Fenêtre d’un logis. (Thonne-la-Long ; Meuse)

La fenêtre la plus courante a un appui non saillant et linteau monolithique, et n’a pas de meneau. Elle a eu un grand succès au 19e siècle. Caché sous les enduits, un arc de décharge en « mitre d’évêque » soulage de linteau.

Le rapport entre sa hauteur et sa largeur est de 3 à 2.

Les volets extérieurs sont apparus à la fin du 19e siècle.

La porte d’entrée du logis

Chauvency-Saint-Hubert (Meuse).

La porte du logis la plus modeste comprend une marche, deux pieds droits en blocs de calcaire appareillé, surmonté d’un linteau monolithique. Dans les demeures les moins modestes, ces éléments peuvent être ouvragés.

Un millésime est sculpté dans la pierre du linteau avec le cas échéant des signes de protections.

La porte de l’écurie

Chauvency-le-Château (Meuse).

Les portes des écuries sont de plain-pied et à deux venteaux. À côté d’elles se trouve souvent une petite fenêtre étroite éclairant faiblement la travée lorsque la porte est fermée.

La porte de la grange

Vigneul-sous-Montmédy (Meuse).

La porte de grange est la plus impressionnante de la ferme. Dans la ferme tricellulaire, elle occupe toute la largeur de la travée. Les pieds-droits de l’encadrement sont en pierre taillée. À leur base, un chasse-roue les protège. Le linteau est droit ou faiblement bombé. Souvent, il s’agit d’une épaisse poutre de chêne reposant sur le mur gouttereau, mais il existe des linteaux en pierres cintrées avec clé de voûte et renforcés d’agrafes. Cet arc en pierre est apparu à la fin du 18e siècle et fréquent au 19e siècle.

La porte de bois à deux ventaux est un assemblable de planches sur une structure en poutrelles et se ferme à l’aide d’une barre de levier. Certaines portes sont équipées d’une porte-guichet pour faciliter le passage des hommes.

Lucarne à poules


(Irés-les-Prés ; Montmédy ; Meuse)

Montlibert (Villécloye ; Meuse)

Dans la façade des fermes, nous pouvons voir une petite ouverture en hauteur à moins d’un mètre du sol à laquelle on y accède lorsqu’elle est ouverte avec une planche escalier en bois. C’est la lucarne à poules, entrée des volailles, qui interdit au prédateur d’entrer dans l’écurie le plus souvent. Elle est munie d’une porte de fermeture.

Fenêtres d’aération dans le haut des murs gouttereaux

Chauvency-Saint-Hubert (Meuse).

Les murs gouttereaux sont munis d’ouvertures plus larges que hautes sous la corniche. Non vitrées, elles pouvaient être fermées par un volet. Elles permettaient l’aération des combles, greniers et fenils et évacuaient les gaz de fermentations et ceux issus de l’écurie-étable.

Les matériaux de construction

Pierre

De tout temps, les villageois ont construit leurs demeures avec les matériaux disponibles dans leur environnement à savoir en Lorraine la pierre, le bois, la terre, le torchis, le chaume. Les plus anciennes maisons paysannes construites en pierre dans la région datent du 17e et 18e siècle. Au haut Moyen Âge, les habitations étaient faites en bois, torchis et chaume y compris le palais mérovingien de Stenay, domaine agricole, relais de chasse équipé d’un logis pour le roi. En l’absence de données archéologiques, nous ne pouvons dire à quelque époque s’est généralisé l’usage de la pierre.

Trois catégories de pierre (calcaire et calcaire gréseux) étaient utilisées pour la construction :

Dans le Pays gaumais, la boutisse est appelée goutte, appellation qui « proviendrait de la goutte que le constructeur offrait au maçon, chaque fois qu’une telle boutisse était maçonnée.[xv] » Réalité ou légende ?

Mortier

Incontestablement, les fermes lorraines ont été bâties avec un mauvais mortier qui scelle mal les pierres entre elles. Exposés aux intempéries, les murs non protégés finissent par s’ouvrir et s’effondrer.

Jusqu’au 19e siècle, le mortier est un mélange de terre franche et de sable. Bien que connue et utilisée pour d’autres usages, la chaux est ajoutée au mélange que très tardivement.

Enduit et badigeon


Façade crépie à la chaux teintée. (Torgny ; Luxembourg belge)

Façade crépie au ciment Portland. (Iré-le-Sec ; Meuse)

Les pierres régionales (calcaire, calcaire gréseux, grès calcareux) laissent passer l’humidité et sont gélives par la majorité d’entre elles. Les mortiers de terre des joints des murs sont très poreux. Les façades exposées aux intempéries doivent être protégées par un enduit.

Le mur gouttereau de façade était enduit d’un crépi composé de sable et de chaux « substance terreuse talochée sur le mur [xvi] ». Cette sous-couche, qui ondulait au rythme de moellons ou était égalisée à la truelle, était badigeonnée d’un lait de chaux blanche ou teintée. Annuellement, il fallait entretenir la façade, la recouvrir d’un nouveau lait de chaux.

Différentes couleurs étaient utilisées au 18e siècle et disponible à faible coût : Le noir (goudron), le blanc (chaux), le noir de fumée (ou d’os), l’ocre, la terre dite de Sienne, l’oxyde de plomb (minium) ou l’oxyde de fer (rouille), le sang de bovin (rouge rose).

Les encadrements de fenêtres et des portes sont peints au lait de chaux teinté d’ocre. Le bas des murs recouverts d’une large bande de goudron pour les protéger contre l’eau.

À la fin du 19e siècle, l’enduit de chaux est supplanté par le ciment Portland.

Les murs intérieurs du logis étaient recouverts d’un enduit de terre mélangée à des fibres végétales ou des poils d’animaux et couvert d’un badigeon de chaux. La partie basse du mur pouvait être peinte au bleu de méthylène qui a des propriétés antiseptiques contre les moisissures, et empêche la prolifération de blattes, cafardes…

Toiture


Charpente d’une habitation. (Chassepierre ; Luxembourg belge)

Charpente d’une grange à Iré-les-Prés (Montmédy ; Meuse)

La tuile est la couverture traditionnelle des fermes lorraines et gaumaises. C’est une tuile creuse ou tuile canal évolution de l’imbrex des tuiles romaines. La région est son aire d’extension la plus nordiste.

La tuile canal a largement été remplacée par la tuile mécanique.

L’ardoise a été utilisée dans des bâtiments plus importants (Mairie…) ou au 19e siècle par des propriétaires plus aisés.

La ferme de la dîme à Montquintin, devenu musée de la Vie paysanne, est un très bel exemple de toiture traditionnel en tuile canal. Le toit à faible pente est dépourvu d’une gouttière. Les tuiles sont mises en œuvre sur le voligeage du toit, sans lattage. Les murs pignons peuvent être recouverts de larges pierres plates, assurant l’écoulement des eaux.

Archives consultées

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

  1. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Bulletins des propriétés — 1822 : Dampicourt ; Montquintin et Couvreux ; Saint-Mard et Vieux-Virton.
  2. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Administration du cadastre, Royaume de Belgique, Bulletins des propriétés — 1844 : Commune de Lamorteau (Lamorteau, Harnoncourt, Rouvroy et Torgny).
  3. Archives des Institutions de droit public (époque contemporaine), Cadastre du Royaume des Pays-Bas, Grand-Duché de Luxembourg, Direction d’Arlon, Expertises des communes, 1819-1823 : Dampicourt ; Harnoncourt (Rouvroy et Lamorteau) ; Montquintin ; Saint-Mard ; Torgny.

Bibliographie :

  1. Architecture rurale de Wallonie. Lorraine belge. Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1983. [pp. 14, 16, 23, 38, 101, 103-106, 110, 131, 133-134, 147, 152-153, 162-163, 169-171, 175, 179, 183, 186, 194, 196, 201-202, 204-205, 209]
  2. CHARIOT, Constantin ; PEZZIN, Myriam. Le musée de la Vie paysanne de Montquintin. 1965-2005. In : Chronique des Musées Gaumais, numéro spécial, 2e trimestre 2005. [pp.29-31, 41-42, 52, 56-57, 61]
  3. CORNEROTTE, Jacques. La Gaume à travers champs, villages et forêts. Virton, Syndicat d’Initiative, 2007. [pp.38, 111, 113]
  4. FOURNY, Marcel. L’habitat et le village en Lorraine. Édition du SI le Méridional, Rouvroy, 1998. [pp.7, 11-13, 15-21, 23-24]
  5. MINISTÈRE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE.La Lorraine Village/Paysage. Ensembles ruraux de Wallonie. Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1983. [pp.31-32, 35]

Références

[i] Architecture rurale, 1983, p.101

[ii]Architecture rurale, 1983, p.209

[iii] Expertise Montquintin, 1819-23

[iv] Expertise Montquintin, 1819-23

[v] Expertise Dampicourt, 1819-23

[vi] Expertise Harnoncourt, 1819-23

[vii] Expertise Torgny, 1819-23.

[viii] Expertise Dampicourt, 1819-23

[ix] Architecture rurale, 1983, p.101

[x] Architecture rurale, 1983, p.101

[xi] Architecture rurale, 1983, p.194

[xii] Architecture rurale, 1983, p.16

[xiii] Fourny, 1998, p. 18

[xiv] Fourny, 1998, p. 18

[xv] Chariot-Pezzin, 2005, p.41

[xvi] Fourny, 1998, p.21