Carnets de notes - Des familles

Jean Bonbled (1920-1944), résistant fusillé

Le maquis de Suxy

Par un avis daté du 18 février 1944, le Kreiskommandant d’Arlon averti la population de Virton que « le 16 février 1944, vers 22 h. 45, près de la gare de VirtonSaint-Mard (Luxembourg), les nommées :

  1. CLAUDON Camille, domicilié à Charency-Vezin, né le 10.3.26.
  2. PERNET René, domicilié à Charency-Vezin, né le 10.3.24.
  3. PECHEUR René, domicilié à Nancy, né le 18.8.25.
  4. DESCHELL René François, sans demeure fixe, né le 16.7.16.
  5. BONBLED Jean, domicilié à St. Mard, né le 12.3.20.
  6. MOREAUX Willy, domicilié à Suxy, né le 16.5.23.

ont été arrêtés par la Feldgendarmerie allemande. Les précités étaient porteurs d’armes chargées (5 fusils et 3 pistolets) ainsi que de munitions.

Le 17 février 1944, le tribunal extraordinaire de l’Oberfeldkommandantur siégeant à Virton les a condamnés à la peine capitale.

Les condamnés ont été fusillés à Virton le même jour. [1]»

La résistance à l’occupant s’organise. Des maquis, regroupement de combattants en camp dans des lieux isolés, voient le jour. La topographie des forêts ardennaises et gaumaises permet d’agir discrètement.

Le 1er octobre 1943, la Ve armée américaine est entrée dans Naples (Italie). Le 6 novembre, l’Armée rouge libère Kiev (Ukraine). Sur tous les fronts, la Wehrmacht recule, mais la guerre est loin d’être finie. À la conférence de Téhéran, les Alliés décident l’organisation d’un débarquement en Normandie. Le 24 décembre, le général Eisenhower est désigné Supreme Commander Allied Expeditionary Force (commandant suprême des Forces expéditionnaires alliées). [2]

Jean Bonbled, 24 ans, fait partie de la cohorte des résistants oubliés des livres d’histoire. Ils ont perdu leur vie pour notre liberté et ne sont plus que des noms sur des monuments aux morts. Raymond Draize lui rend hommage dans son ouvrage Qui sont ces personnages dont on a donné le nom à des rues et à des places de Saint-Mard ? L’instituteur Jean Dauphin [3], fondateur du Musée des Guerres en Gaume — Musée Baillet Latour, a publié dans ses Chroniques un texte des résistants Gaston et Louis Bion des Croisettes relatant la création du maquis de Suxy et la capture de l’équipe de Jean Bonbled.

Suxy est un village blotti dans une vaste clairière de la bordure forestière méridionale ardennaise. Traversé par la rivière la Vierre affluant de la Semois, il est à l’écart des deux chaussées reliant Neufchâteau sur le haut plateau de l’Ardenne centrale à la Gaume (route de Florenville et route de Rossignol). À l’automne 1943, beaucoup de réfractaires au travail obligatoire s’y cachent dans les fermes ou chez l’habitant. Depuis quelques mois, Jean Martin d’Halanzy, Gaston et Louis Bion des Croisettes logent dans une cabane construite dans la forêt des Croisettes. Au mois de novembre, Nestor Déom de Muno, chef provincial des partisans armés, les a conviés à une réunion importante à Biourge [4].  Chacun se voit affecter une mission. Louis Bion (Hubert) doit organiser la liquidation physique des traîtres. Il doit constituer un groupe spécial de dix hommes.

Fond de carte : OpenStreetMap contributors under ODbL – Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

Ida Collignon est une personne de confiance. Pour Louis Bion qui parcoure une région comprise entre Florenville, Neufchâteau, Bastogne et Marbehan, elle sonde, interroge des réfractaires qui se cachent à Suxy. La majorité d’entre eux ne sont pas aptes aux opérations clandestines. Quelques-uns acceptent de s’engager dans la résistance.

Un algérien, tirailleur dans l’armée française, survivant du maquis du château d’Elby décimé par l’ennemi, intègre l’équipe.

Jean Bonbled a combattu l’envahisseur au sein du 7e régiment de Chasseurs ardennais durant la campagne des 18 jours, au printemps 1940. En janvier 1941, il est entré à l’atelier du chemin de fer de Latour où il est manœuvre, chauffeur-mécanicien. Réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne, il a rejoint le village de Suxy. Il incorpore le « Front de l’Indépendance » (F.I.), groupement des résistants armés [5] et en toute logique intègre l’équipe formée par Louis Bion.

Le groupe est soudé, armé quoiqu’insuffisamment, mais à la fin 1943 peu de parachutage ravitaille la résistance, et motorisé. Il possède une petite voiture, une camionnette et une moto. Lorsqu’il en a besoin, il réquisitionne d’autres véhicules. Le maquis commet des sabotages.

Au début de l’année 1944, l’ennemi renforce ses patrouilles. Les déplacements sont risqués. Gaston et Louis Bion des Croisettes sont recherchés. Ils sont exfiltrés par une filière d’évasion passant par Carignan, Paris, Annecy et la Suisse. Cette dernière étant coupée, ils intègrent le maquis de la forêt d’Othe dans l’Yonne.

Avant son départ, Louis a remis le commandement de son groupe à Fernand Noël de Saint-Mard. Arrêté en mai 1944, il est fusillé à la Citadelle de Liège le 7 juin 1944. En février, il se cache à Torgny. Il est recherché.

Fernand Noël organise une double opération nous disent Gaston et Louis Bion des Croisettes qui ne nomment pas leurs informateurs. Ils n’ont pas été témoins du drame. 

Le groupe doit récupérer des armes dans un fort de la Ligne Maginot et exécuter un traître près de Croix Rouge, lieu-dit au croisement des routes de Virton à Étalle et Éthe à Tintigny dans la forêt gaumaise.

Fond de carte : OpenStreetMap contributors under ODbL – Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

Le 16 février 1944, Jean Bonbled doit rassembler une équipe et rejoindre Fernand Noël à la Grande Haie à Saint-Mard. Il part de Suxy en compagnie de Willy Moreaux qui conduit la camionnette. Ils se rendent à Aubange pour prendre Camille Claudon, René Pernet, René Pêcheur et René Deschel, quatre Français échappés du camp de Charency-Vezin.   

Entre 21 et 22 heures, au carrefour de l’avenue Bouvier et de la route de Florenville, près de la gare de VirtonSaint-Mard, « Willy stoppe le véhicule avant de s’engager. […] Trois feldgendarmes surgissent l’arme au poing. Willy les aperçoit et veut embrayer. Le moteur cale. Les Allemands ouvrent les portes de la camionnette et en hurlant s’emparent des six hommes. [6]»

Dans les détails, le récit de Gastion et Louis Bion des Croisettes diffère légèrement de celui de

Raymond Draize pour qui le groupe de résistants descendait l’avenue Bouvier et revenait soit d’une réunion tenue chez Camille Compagnie, le beau-frère de Jules Lafontaine (chef du maquis du bois de Guéville [7], fusillé le 7 juin 1944 à la Citadelle de Liège [8]) ou d’une expédition dans la ligne Maginot.

En nous référant au premier exposé, nous constatons que Jean Bonbled et ses compagnons d’armes ont été appréhendés avant de rejoindre leur chef avec lequel ils devaient mener une des deux opérations précitées.

Désarmés, les prisonniers ont été amenés dans les locaux de l’Oberfeldkommandatur, au Pensionnat des Sœurs Notre-Dame [9]. Ils sont identifiés comme étant des résistants du maquis de Suxy.

Le lendemain 17 février, les Allemands constituent un tribunal d’exception. Après un jugement sommaire, ils sont condamnés à mort. Moins de 24 heures après leur arrestation, ils sont conduits à la fontaine de l’Empereur, à la sortie de Virton, sur la route d’Arlon. À 19 heures, à la lueur des phares des autos de la Gestapo et de la Wehrmacht, ils sont fusillés. Des passants sont contraints d’assister à l’exécution.

Les résistants fusillés

Jean BONBLED est né à Saint-Mard le 12 mars 1920. Il est le fils de Georges Bonbled et de Cécile Guillaume.

Son conducteur, Willy-Léon MOREAUX est né à Suxy le 16 mai 1923. Il est le fils de Joseph Moreaux et d’Alphonsine Zachary. [10]

Les quatre Français du camp de Charency-Vezin

Les quatre résistants français se sont échappés du camp de jeunesse de Charency-Vezin où ils étaient soumis à un service civil obligatoire, un stage dans un chantier. Du travail obligatoire en France. Ils y arrachaient les arbres criblés de mitraille, évacuaient les blocs de béton provenant des fortifications endommagées de la Ligne Maginot et les fils de fer barbelé.

Ils venaient de rejoindre le maquis de Suxy.

Deux de quatre maquisards français ont été exécutés sous leur nom de guerre. René Pernet sous son propre nom. Nous ne savons pas si René Pécheur était un nom de guerre ou sa véritable identité du condamné. En mai 2020, j’ai reçu un courriel de monsieur Michel Lixon des Compagnons de la Mémoire des Fusillés de la Citadelle de Liège qui corrige les identifications [11].  

Marcel Gabriel Louis FAUSTINELLI dit Camille CLAUDON, domicilié à Charency-Vezin, né le 10 mars 1926 à Nancy (Meurthe-et-Moselle). [12]

René Maxime PERNET, domicilié à Charency-Vezin, né le 10 février 1924 à Igney (Vosges). [13]

René PECHEUR, domicilié à Nancy, né le 18 août 1925. Identité réelle inconnue. Le cuisinier du camp de jeunesse de Charency portait le même nom. [14]

Jean SEYEK dit René François DESCHELL, né le 16 juillet 1916 en Algérie. Franco-Algérien. [15]

Fernand Noël et Jules Lafontaine

Fernand NOËL qui prend le commandement du groupe de Louis Bion des Croisettes au début de l’année 1944 se cachait à Torgny à cette époque. Il est né le 3 septembre 1913 à Saint-Mard, fils de Jean-Baptiste et d’Élisa Differding. Il a été soldat au 2e régiment de Chasseurs ardennais. Entrepreneur de transport, il est marié Camille Debaiffe. Arrêté le 28 mars 1944, il est fusillé à la citadelle de Liège le 7 juin 1944. [16]

Jules LAFONTAINE, né le 27 février 1889 à Saint-Mard, fils de Jules et Julie Helloy. Chef du maquis du bois de Guéville. Il hébergea et ravitailla la résistance. Il dissimula dans une dépendance de sa ferme un important dépôt de munitions, participa à la récolte des armes et munitions parachutées par la R.A.F. Il est arrêté le 11 avril 1944 et fusillé à la citadelle de Liège le 7 juin 1944. [17]

Le mémorial Bonbled

Photographie juillet 2015 avant rénovation et adjonction d’une seconde plaque.

Après la construction du contournement est de Virton, route du Val d’Away, qui rejoint la rue d’Arlon à la fontaine de l’Empereur, effaçant tout souvenir du crime, un monument commémoratif à la mémoire de Jean Bonbled et ses compagnons de combats a été inauguré le 27 septembre 1982. En 2019, il a été rénové par les élèves de 4e année de la section technique de l’Enseignement spécialisé de Saint-Mard et les agents du Service technique de la Ville de Virton. [18]

Parenté avec l’auteur

Par sa grand-mère Maria Saint Mard (o 1870 Harnoncourt) épouse d’Édouard Guillaume (1864-1940 Harnoncourt), Jean Bonbled (1920-1944) se rattache à la lignée Saint Mard (branche cadette, descendance d’Hubert Saint Mard).

Par son arrière-arrière-grand-mère Victorine Bonbled (1844 Saint-Mard – 1912 Virton) épouse de Jean-Pierre Vilaine (1832-1920 Virton), l’auteur se rattache à la lignée Bonbled.

Nos derniers ancêtres communs sont :

Bibliographie

  1. DRAIZE, Raymond. Qui sont ces personnages dont on a donné le nom à des rues et à des places de Saint-Mard ? Virton, 1992, pp.47-50.
  2. BION des CROISETTES, Gaston et Louis. Chronique 54. La résistance en 40-45 ? Le groupe de choc de la province. In : Dauphin, Jean. Chroniques. Virton, Comité Latour, mon village, 2007, pp. 117-119.

Internet

Bel Memorial

fusilles-citadelle.be : Nécropole nationale. Enclos national des fusillés de la citadelle de Liège

Maison du Souvenir



Notes et références

[1] bel-memorial.org : https://bel-memorial.org/photos_luxembourg/saint-mard/BONBLED_Jean_11149.htm

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/1943 ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Supreme_Headquarters_Allied_Expeditionary_Force

[3] Jean Dauphin (+ 23 août 2016 à l’âge de 91 ans). Instituteur. Conservateur-fondateur du Musée des Guerres en Gaume - Musée Baillet Latour (Latour, Virton). 2011, chevalier de la Légion d’Honneur. 2014, chevalier du Mérite wallon. https://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/etiquettes/dauphin-jean

[4] Bertrix ; ancienne commune d’Orgeo. À environ 15 kilomètres de Suxy.

[5] Draize 1982, pp.49-60 ; https://bel-memorial.org

[6] Bion des Croisettes 2007, p.119.

[7] Forêt de la cuesta bajocienne au sud de Lamorteau et Harnoncourt.

[8] https://bel-memorial.org/names_on_memorials/display_names_on_mon.php?MON_ID=522

[9] Avenue Bouvier (Virton).

[10] Draize 1982, p.50 ; https://bel-memorial.org/photos/MOREAUX_Willy_11381.htm

[11] Courriel de Michel Lixon (5 mai 2020) :

« Permettez-moi de vous contacter en tant que responsable des Compagnons de la Mémoire des Fusillés de la Citadelle de Liège, car je suis tombé sur un article que vous aviez mis sur votre blogue de famille et qui concernait Jean Bonbled et ses compagnons qui furent fusillés à Virton le 17 février 1944.
En fait je souhaitais vous apporter quelques précisions et rectifier certaines erreurs.
Les infos je les tiens des familles elles-mêmes avec qui je suis en contact.
3° René Deschell était le nom de guerre de Jean Seyek, un Franco-Algérien, né le 16-07-1916 en Algérie qui était alors territoire français
4° Il semblerait que sur les 4 Français qui furent exécutés 3 le furent sous leur nom de guerre et non sous leur vrai nom et qu’un seul a été fusillé sous son vrai nom, c’était Pernet René.
Je voulais par justice pour ces résistants rectifier ce qui n’était pas tout à fait juste. »

[12] https://bel-memorial.org/photos/FAUSTINELLI_Marcel_11251.htm ; https://bel-memorial.org/all_names/f.php?s=200&q=

[13] https://bel-memorial.org/all_names/p.php?s=1000&q=

[14] https://bel-memorial.org/names_on_memorials/display_names_on_mon.php?MON_ID=522 ; http://fusilles-citadelle.be/Dossiers/fiches%20Pdf/PECHEUR.pdf

[15] https://bel-memorial.org/all_names/se.php?s=200&q=

[16] https://bel-memorial.org/photos_luxembourg/saint-mard/NOEL_Fernand_11396.htm ; https://bel-memorial.org/tribute/tribute_1.php?INDIVIDUALS_ID=11396&RECOUP=11396

[17] Draize 1982, p.51 ; https://bel-memorial.org/names_on_memorials/display_names_on_mon.php?MON_ID=522 ; https://bel-memorial.org/books/Fusilles_Citadelle_de_Liege_entente_patriotique_Liege.pdf

[18] https://www.maisondusouvenir.be/stele_empereur.php