Philippe Saint Mard : Notable, laboureur et illettré
Informations généalogiques
Philippe François Saint Mard, fils de François Saint Mard (+ 1715) et Anne Thiry a été baptisé le 8 mai 1705 à Dampicourt (province de Luxembourg, Belgique) et y est décédé le 8 mai 1789.
Il épouse le 19 janvier 1729 à Dampicourt, Françoise Lambert dont il a six enfants :
- Françoise (b 5/07/1731).
- Élisabeth (b 19/09/1732 - + 22/02/1746).
- Françoise (o 1734).
- Anne (b 2/06/1737 - + 16/02/1806).
- Anne (b 18/02/1739 - + 6/02/1741).
- Phillibert (o 30/05/1741 ; sans descendance connue).
En secondes noces, il épouse le 21 février 1775, Anne Collignon (o 1734).
Remarque
Le patrimoine de Philippe Saint Mard nous est connu uniquement par des archives fiscales : tabelles « cadastrales » et rôles d’imposition.
Statut social
Philippe Saint Mard ne savait ni écrire ni signer. Rien ne nous permet de dire qu’il était un analphabète au sens actuel du mot. L’enseignement de base étant divisé en trois cycles (lire, écrire, calculer), une personne pouvait savoir lire, mais ne point écrire.
L’illettrisme de Philippe Saint Mard ne l’a pas empêché d’être un notable dans le village. Il exerça plusieurs fois la charge d’échevin ou de Maire de la seigneurie de Dampicourt [1]. Affranchi à la loi de Beaumont, le jour de la Pentecôte, les bourgeois du village élisaient pour un an le maire et des échevins. Élu, le Maire et les échevins prêtaient serment de fidélité : « Cejourd’hui vingt juillet 1776 nous Échevins de la haute Justice de Dampicourt Soussignés avons reçu le Serment de bongard de Philippe Saint Mard bourgeois de Dampicourt aux fins de s’acquitter fidèlement de sa commission sans port faveur ni inimités, et sera en conséquence son Serment enregistré pour fois de quoy a sous marqué Nous et clerc juré le jour et d’après lecture faite. » [2]
Philippe Saint Mard est laboureur. Il est propriétaire de la terre qu’il exploite.
L’exploitation agricole
Excepté la conversion des mesures anciennes en unités modernes, la taille et la structure de l’exploitation de Philippe Saint Mard sont très faciles à obtenir. En effet, « le cadastre dit de Marie-Thérèse, organisé dans le Luxembourg à partir de 1765-1766, constitue une des plus vastes entreprises d’information statistique menées par le régime autrichien à l’échelle d’une province » [3], il nous offre un inventaire « fiscal » complet des propriétaires et de leurs biens.
En 1766 [4], il est propriétaire (Tabelles cadastrales Dampicourt, Mathon, Montquintin) :
- D’une maison de deuxième classe avec grange et écurie occupée par le déclarant à Dampicourt.
- D’une Grange à Mathon.
- D’un journal et 66 verges d’enclos (40 ares 68 centiares).
- De 46 verges de jardin et vergers (4 ares 84 centiares).
- De 29 journaux et 199 verges de terres labourables (9 hectares 99 ares 7 centiares).
- De 3 journaux et 181 verges de prairies (1 hectare 20 ares 25 centiares).
Soit un total de 33 journaux et 492 verges ou 11 hectares 64 ares 84 centiares.
Nature | Superficie | % |
---|---|---|
Terre labourable | 9 h. 99 a. 7 c. | 85,77 % |
Prairie | 1 h. 20 a. 25 c. | 10,32 % |
Verger | 40 a. 68 c. | 3,49 % |
Jardin et verger | 4 a. 84 c. | 0,42 % |
Total général | 11 h. 64 a. 84 c. | 100,00 % |
![](graphe/philippe-image002.png)
Le ratio terre labourable/prairie est de 89,26 %/10,74 % soit une répartition conforme à la ventilation de la surface agricole utile au milieu du 19e siècle en Gaume. Philippe Saint Mard est un cultivateur et non un éleveur.
![](illustrations_diverses/dampicourt-19e-siecle.jpg)
Philippe Saint Mard habite la seigneurie de Dampicourt, c’est-à-dire la partie située au sud de l’église. Au nord, se trouve la seigneurie de Mathon et des Aigremonts. L’église est le point de rendez-vous des deux communautés rivales.
Il déclare que certains biens sont chargés d’une rente.
À Dampicourt :
- Un jardin potager (7 verges sur 3 et demie) et une chènevière (13 verges sur trois) sont chargés d’une rente annuelle de douze sols pour une messe anniversaire à l’église de Montquintin.
- Une prairie (trois journaux de trois quarts et demi) est chargée d’une rente de neuf escalins et un sol pour anniversaire au curé de Montquintin.
À Mathon :
- Trois quarts de terres à seigle et avoine sont chargés d’une rente annuelle de trois bichets de seigles et avoines pour la dîme.
- Un jardin potager (10 verges sur trois) l’est de dix sols et demi au bénéfice de Sainte-Barbe.
À Montquintin :
- Un jour et un quart de terre sont chargés d’une rente annuelle décrite comme suit : « La dîme à la dixième gerbe et le terrage à la quatorzième qui sont chargés […] d’un castille de seigle et un castille d’avoine de rente annuelle. »
Les rôles de répartition des charges publiques sont riches de renseignements. Les rôles de la répartition subdivisionnelle du haut command de la prévôté de Virton pour aide ordinaire nous offrent la description de l’exploitation de 1772 à 1787 (biens immobiliers, cheptels et domestique) [5].
Année | Superficie | Cheptel | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
Jour | Verge | Conversion | Cheval | Vache | Porc | |
1772 | 32 | 259 | 11 h. 06 a. 57 | 8 | 3 | 1 |
1775 | 32 | 411 | 11 h. 22 a. 59 | 8 | 2 | 0 |
1776 | 36 | 186 | 12 h. 33 a. 79 | 6 | 6 | 1 |
1780 | 36 | 246 | 12 h. 40 a. 11 | 7 | 3 | 3 |
1781 | 36 | 226 | 12 h. 38 a. 01 | 6 | 2 | 4 |
1783 | 36 | 246 | 12 h. 40 a. 11 | 6 | 2 | 2 |
1785 | 36 | 166 | 12 h. 31 a. 68 | 6 | 1 | 1 |
1786 | 36 | 226 | 12 h .38 a. 01 | 6 | 1 | 2 |
1787 | 36 | 246 | 12 h. 40 a. 11 | 6 | 2 | 2 |
En 1772, la taille de l’exploitation est inférieure de 58 ares par rapport au cadastre de 1766, mais à partir de 1776, la taille est légèrement supérieure au dit cadastre. Trois jours et cinq verges de terres sartables sont incorporés à l’exploitation (1 hectare 1 are 70 centiares). Nous constatons une relative stabilité de l’exploitation. L’autre indice de stabilité est le nombre de chevaux. Ils équivalaient à nos tracteurs, ce n’était pas un bétail de boucherie, mais un outil de production. Nous constatons un petit paradoxe, Philippe Saint Mard avait 8 chevaux lorsque son exploitation avait une taille de 11 hectares, mais n’en a plus que six après alors que la superficie de l’exploitation est passée à 12 hectares.
Le nombre de vache (bêtes à cornes) et de porc varie suivant les années. Ces derniers étant des biens de consommation (vache : lait et viande, porc : viande), il est normal que le nombre ne soit pas constant.
L’analyse du rôle de la taille de l’année 1765 [6] nous permet de situer Philippe Saint Mard par rapport aux villageois non nobles. Le rôle concerne vingt-quatre contribuables. Philippe paie un impôt de 4 florins 4 sols et 9 derniers. Deux autres personnes paient une cotisation supérieure à 4 florins. Trois contribuables paient entre 3 et 4 florins, trois entre 2 et 3 florins, cinq entre 1 et 2 florins, et dix ont une cotisation inférieure au florin.
Philippe Saint Mard est donc un des trois plus « riches » habitants du village hors noblesse. Il a un domestique dénommé Jean de Genève [7].
Les tabelles récapitulatives établies par justices, pour la seigneurie hautaine de Dampicourt, la seigneurie de Mathon, la mairie de Lamorteau, le bourg de Saint-Mard, la seigneurie de Torgny et cour foncière de Lassus, la seigneurie de Montquintin concernent 786 propriétaires (pleins propriétaires ou indivis). Avec ses 11 hectares 64 ares, Philippe est le 76e plus gros propriétaire [8].
Fondation d’une messe anniversaire
Deux après la mort de Philippe Saint Mard, le 1er juillet 1791, sa veuve Anne Collignon fonde à perpétuité une grande messe à chanter et à célébrer à la chapelle de Dampicourt, tous les troisièmes jeudis de chaque mois de l’année avec expiation et bénédiction du très Saint Sacrement avant et après la messe. Elle sera célébrée par le curé de Montquintin et ses successeurs.
Cette messe anniversaire semble avoir pour but de « protéger son âme » après son décès. En effet, ladite messe ne commencera qu’après la mort de la donatrice. Pour rétribution, le curé de la paroisse de Montquintin percevra 16 florins et 16 sols, le marguillier 2 florins 16 sols et la fabrique d’église 2 florins 8 sols. Afin de garantir la fondation à perpétuité, Pierre Simon, son beau-frère et son épouse Hélène Collignon, sœur d’Anne Collignon, constituent une rente d’un capital de 500 florins au profit de cette dernière. Après le décès de la donatrice, Anne Collignon, les synodaux de la paroisse de Montquintin percevront les intérêts du capital pour satisfaire aux objets de ladite fondation. Les intérêts échus avant son décès reviendront à ses héritiers.
Le même 1er juillet 1791, Anne Collignon veuve Saint Mard « donne » un capital de 500 florins à Pierre Simon et Hélène Collignon. En contrepartie, ces derniers s’obligent à payer une rente annuelle de 25 florins à la donatrice. Les obligations résultantes de ce contrat ne s’éteindront pas à la mort des bénéficiaires. La rente et le capital ne pourront être divisés entre les héritiers qui seront tenus et obligés solidairement pour ledit capital et la rente. À titre de garantie, le couple Simon-Collignon hypothèque des parcelles de prairie et de terre à Dampicourt.
Ledit jour, un dernier acte est conclu par-devant Maître François Joseph Dupont, notaire à Virton. Il ne concerne pas directement la fondation de la messe anniversaire, mais semble y être lié. Anne Collignon vend cinq parcelles de terre et de pré moyennant une somme de 36 Louis Vertugadins à 14 florins 8 sols à Pierre Simon et son épouse. Les biens tiendront lieu de remplacement des biens patrimoniaux d’Hélène Collignon que le couple avait vendus.
Le 25 juillet 1791, Anne Collignon modifie la fondation pour que celle-ci soit célébrée dès à présent. En conséquence, elle cède aux marguilliers, synodaux, et fabrique de la paroisse de Montquintin les intérêts du capital de 500 florins. La cession prendra effet le premier jeudi où sera dite la messe soit après l’agréation de Monseigneur l’Évêque d’Ascalon Suffragant de Trêves. Étant toujours en vie, l’objet de la messe ne peut être le salut de son âme. Logiquement, la messe devrait concerner son défunt mari Philippe Saint Mard et après sa mort, son salut.
Le dernier acte a lieu le 22 février 1834 par-devant Maître Joseph Édouard Marson, notaire à Virton. Marguerite Simon, veuve de Jean-Baptiste Reumond, sans profession, résidant à Virton et Jean-Baptiste Saint-Mard, au nom et comme se portant fort de la dame Anne Marie Simon, sa mère, veuve de Jean-Baptiste Saint-Mard déclarent qu’endéans six mois à date de ce jour, ils rembourseront à Monsieur François Andreux, sans profession et trésorier de ladite fabrique, ledit capital de 823 francs (500 florins) ainsi que la rente échue et à échoir jusqu’au jour du remboursement.
Notes
[1] Maire en 1755 et 1769
Échevin : 1750, 1751, 1760, 1761, 1762, 1763, 1766, 1767
Premier échevin : 1757, 1768, 1771, 1772, 1773, 1774
Lieutenant Maire : 1770
Belgique, Archives de l’État à Arlon, Justices subalternes des Duchés de
Luxembourg et de Bouillon (XVe-XVIIIe siècles), Dampicourt, Rôles, Cote 852
et 853.
[2] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Justices subalternes des Duchés de Luxembourg et de Bouillon (XVe-XVIIIe siècles), Dampicourt, Rôles, Cote 852 folios 28-29.
[3] Roger Petit, Archives de l’État à Arlon, Inventaire des archives du cadastre de 1766 et de la commission des charges publiques (1771-1794), Archives Générales du Royaume, Bruxelles, 1986 ; page 5, première phrase de l’introduction.
[4] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Archives du cadastre de 1766 et de la commission des charges publiques (1771-1794) :
- Déclarations cadastrales individuelles, Quartier de Virton, Seigneurie hautaine de Dampicourt, portefeuille no 387, tabelle no 151 ; Seigneurie de Mathon, portefeuille no 391, tabelle no 45 ; Seigneurie de Montquintin, portefeuille no 417, tabelle no 122.
- Tabelles récapitulatives établies par justices, Quartier de Virton, portefeuille no 704 Seigneurie hautaine de Dampicourt, no 707 Seigneurie de Mathon, no 722 Seigneurie de Montquintin.
[5] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Justices subalternes des Duchés de Luxembourg et de Bouillon (XVe-XVIIIe siècles), Dampicourt, Cote 854 (1 portefeuille).
[6] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Justices subalternes des Duchés de Luxembourg et de Bouillon (XVe-XVIIIe siècles), Dampicourt, Rôles de répartition des charges publiques, 1725-1790 (1 portefeuille), Cote 854, Année 1765.
[7] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Décanat de Longuyon, Dampicourt, microfilm no 67.
[8] Belgique, Archives de l’État à Arlon, Archives du cadastre de 1766 et de la commission des charges publiques (1771-1794), Tabelles récapitulatives établies par justices, Quartier de Virton