Carnets de notes - Des familles

Joseph Noël (1830-1891) : Un gaumais au Québec

L’histoire de Joseph Noël né Luxembourgeois sous domination belge, devenu belge en vertu du traité de Londres du 19 avril 1839, serait celle d’une personne quelconque s’il ne lui était pas venu l’idée d’essayer de créer un domaine agricole sur une parcelle fraîchement déboisée du revers des côtes de Moselle Nord, et si après son échec, il ne s’était pas refait en émigrant au Québec.

L’histoire de Joseph Noël se partage en deux époques : une vie ordinaire avec son épouse Alexise Henrion (1828-1878) ; une existence plus audacieuse avec Marie-Jeanne Cresson (1831-1907), sa seconde épouse.

Fond de carte : OSM Landscape (Thunderforest) – Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

L’histoire de Joseph Noël s’écrit sur deux continents : L’Europe et l’Amérique du Nord.

L’histoire débute en Gaume, microrégion culturelle située au sud de la province du Luxembourg en Belgique. Un pays ondulé constitué de collines, de vallées et de cuestas, rides du bassin sédimentaire parisien. Ce petit territoire se divise en deux étages séparés par une barrière forestière d’est en ouest. Au nord, la vallée de la Semois, affluent de la Meuse, serpente entre le massif ardennais et la cuesta sinémurienne. Au sud de la forêt, la cuesta bajocienne ou côte de Moselle Nord structure le paysage. Elle est bordée par les rivières la Batte, la Virre et le Ton.   

Ici, les gens parlaient un dialecte lorrain. Ils étaient plus proches de la France et du Luxembourg que des provinces Belgique. En septembre 1830, le mouvement révolutionnaire né à Bruxelles s’étend au Grand-Duché de Luxembourg. La citadelle et ville de Luxembourg gardée par une garnison prussienne ne peut être prise. En vertu de l’acte final du congrès de Vienne (juin 1815), le duché était un état de la Confédération germanique sous la souveraineté de la Maison d’Orange-Nassau. Cependant, Guillaume de Nassau roi des Pays-Bas et grand-duc de Luxembourg à titre personnel réuni en toute illégalité son duché à son royaume. Huit années seront nécessaires pour régler la question luxembourgeoise qui se soldera par le troisième démembrement du duché. En 1839, le traité des 24 articles définit la frontière entre la Belgique et le Grand-Duché qui perd la majeure partie de son territoire.    

La Gaume, localisée sur un couloir d’invasion, fut traversée par de nombreuses armées. L’année 1636, l’année de tous les malheurs fut marquée par les exactions et crimes des soldats croates, polonais et hongrois auxiliaires de notre souverain en guerre contre le roi de France. La peste se rependit. La région se dépeupla. En août 1914, nouvelle année de tous les malheurs, les armées du prince héritier d’Allemagne commirent de nombreux crimes de guerre : villages incendies, civils fusillés, soldats français achevés.  

Le Gaumais, sudiste, est réputé un tantinet hâbleur et vantard. Un dicton claironne : « Il a plus dit que fait.[1]»

La Gaume est pays où les fées sont bienveillantes, où le naïf chasse sans grand succès une charmante chevrette aux pattes asymétriques, le daru. Les veillées d’hiver lorsqu’il n’y avait rien à faire, au coin du feu, les villageois se racontaient les aventures de d’Jean de Mady, facétieux violoneux, qui fit fuir le loup en jouant sa musique.

Tel est la contrée natale de Joseph Noël, fils de Pierre Joseph et Jeanne Margueritte Guillaume, arrière-petit-fils d’Anne Saint Mard, qui voit le jour le lundi 13 décembre 1830 à Dampicourt. Fils d’un maçon, Joseph sera tour à tour marchand, cabaretier, cultivateur, manœuvre et colon.

Tombe de Pierre Joseph et Jeanne Margueritte Guillaume.

Son père Pierre Joseph, né à Harnoncourt, est mort à Dampicourt, village voisin. De nos jours, nous pouvons apercevoir sa tombe derrière le chœur de l’église dans le « carré Saint-Mard ».

Fond de carte : OpenStreetMap contributors under ODbL – Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

Joseph Noël habite dans un premier temps à Dampicourt. Il déménage à Robelmont, un village voisin. Ensuite, il s’établit à Croix Rouge un écart de la commune de Sainte-Marie-sur-Semois au croisement des routes d’Étalle à Virton et de Bellefontaine à Éthe, au milieu de la forêt. Lorsqu’il construit son logis ferme au Laid Bois, commune de Saint-Mard, il s’installe avec femme, enfants et beaux-fils à Stockfontaine, ferme isolée et voisine, commune de Ruette. Après sa banqueroute, il se réfugie à Messampré (départements des Ardennes, canton de Carignan). Pour terminer, il traverser l’Atlantique, s’enracine à Chute aux Iroquois (Québec, Laurentides, municipalité de Labelle).

La majorité des personnes laisse très peu de traces de leur existence. Il n’y avait rien d’extraordinaire dans la vie de Joseph avant l’acquisition en septembre 1878 d’une propriété de 26 hectares dans le Bois de Guéville à quelques centaines de mètres de la frontière française.

Mais n’allons pas trop vite.

À Dampicourt, le père de Joseph exerce la profession de maçon. Évaluer le statut social d’une personne n’est pas chose aisée. En 1873, cinq ans avant sa mort, Pierre Joseph Noël partage son patrimoine entre ses trois enfants survivants à savoir Georges, Joseph et Jean-Baptiste. Ledit patrimoine d’un total de 6 hectares 1 centiare est essentiellement composé de terres labourables, excepté une praire de 21 ares 10 centiares. La compilation des bulletins de propriétés ayant servi à établir les matrices cadastrales de 1822 et 1844 des villages de la basse vallée du Ton, rivière bordant Dampicourt, permet d’avoir des points de comparaisons. Le plus petit maçon possède 1 are (une maison et un jardin), le plus aisé est propriétaire de 2 hectares et demi (maison, jardin, terre et pré). Le père de Joseph doit donc être considéré comme un maçon aisé.

Le 10 janvier 1855 à cinq heures de relevée [2], Joseph Noël et Alexise Henrion, fille d’un charpentier,  convolent en justes noces à Villers-la-Loue. Deux jours plus tôt, les fiancés avaient conclu un contrat de mariage par-devant Maître Foncin, notaire à Virton. De leur union naquirent quatre enfants : Jean-Baptiste (1856), Marie-Victoire (1858), Jeanne-Catherine (1860) et Marie-Virginie (1863).

Le couple s’établit à Dampicourtil achète le 16 février de ladite année, « une maison, composée d’un corps de logis, boutique de maréchal, écurie, petite grange et cour, lieu-dit Maton, plus un jardin potager en peu plus loin, au même lieu, tenant du nord à Monsieur de Bonhomme [3], du midi aux aisances communales, du couchant à la rivière », pour une somme de 1.500 francs.

Jusqu’à la fin du 18e siècle, Dampicourt — considéré par les géographes comme un seul village — était constitué de deux communautés distinctes ayant chacune leurs propres magistrats. Depuis 1545, une rivalité existe entre les Dampicourtois, le bas du bourg, et les Mathonais (Mathon et les Aigremont), car ces derniers avaient refusé de participer à une procession en l’honneur de l’Empereur Charles Quint [4]. À cette époque, les « deux villages » étaient peu peuplés. En 1541, Dampicourt comprend 26 feux et Mathon 12 feux [5].

La vie à Dampicourt paraît paisible jusqu’en 1872, mais un déménagement semble se préparer. Durant le premier trimestre 1872, le couple vend différents biens dont leur maison, 1 hectare 91 ares de terres labourables et en acquière à Robelmont. Malheureusement, au petit matin du 14 avril 1872, à son réveil, Joseph a dû découvrir son épouse Alexise inanimée. L’acte de décès précise qu’elle est morte à cinq heures du matin, âgée de 45 ans. Après ce décès, Joseph devient plus ou moins nomade.

Le veuvage de Joseph sera relativement court. Autre époque, autre mentalité, le mariage est nécessité familiale et économique. Ne pas se remarier expose le veuf ou la veuve à de nombreuses difficultés. Il faut gagner sa vie tout en s’occupant des enfants mineurs. Un an plus tard, Joseph convole avec Marie-Jeanne Cresson veuve de Joseph Orban. L’union a lieu devant le bourgmestre de la commune de Sainte-Marie-sur-Semois, le 1er juillet 1873. À cette époque, Joseph est cabaretier à Robelmont et Marie-Jeanne exerce la même activité à Croix Rouge écart de Sainte-Marie. Marie-Jeanne est mère de trois enfants : Véronique (o 1855), Joseph-Auguste (o 1862) et François-Joseph (o 1864) les Orban. Bien qu’ayant six ans lors du mariage de sa mère le 5 novembre 1861, Véronique a été reconnue par Joseph Orban comme étant sa fille.

Marie-Jeanne Cresson, début du 20e siècle.

La période allant du décès d’Alexise Henrion à l’installation à Stockfontaine est d’un premier abord plus ou moins confus. Où était domicilié le couple, quelle était la profession de Joseph ?

En janvier 1873, Joseph Noël est cultivateur et marchand. Il habite « une maison située à Robelmont, consistante en corps de logis, écurie, grangette, remise et jardin derrière, tenant du levant, du midi et du nord au vendeur, faisant face sur la voie publique au couchant. » Cette demeure « dépendant de la communauté qui a existé entre ledit sieur Joseph Noël et feu sa dite épouse. » [6] Henri Joseph Henrion, charpentier résidant à Robelmont est le subrogé tuteur [7] des enfants mineurs Noël. La maison est revendue en janvier 1875 pour un prix de 3.800 francs.

En juillet 1876, Joseph Noël et Marie-Jeanne Cresson habitent à Croix Rouge, écart de Sainte-Marie, carrefour au milieu de la forêt sur la route de Virton à Étalle. Ils exercent la profession de cultivateur et débitant. En 1877, l’acte de mariage de sa fille Marie Victoire Noël et Jean-Baptiste Charles Demars précise qu’il est domicilié à Huombois, un groupement de maisons à un kilomètre et demi du carrefour de Croix Rouge, même commune.

L’étape suivante sera le Laid Bois ou Stockfontaine. Le 18 décembre 1878 est inscrit dans le registre de la population de la commune de Ruette, le ménage composé de :

« 1. NOËL Joseph, né le 13 décembre 183[0], veuf de Alexise Henrion décédée à Dampicourt le 14 avril 1872. Il est cabaretier et époux de no 2.
2. CRESSON Marie-Jeanne, née à Villers-la-Loue le 21 mars 1831, veuve de Joseph ORBAN et épouse de no 1
3. NOËL Jean Baptiste, né à Dampicourt le 26 février 1856, fils du no 1
4. NOËL Marie Victoire, née à Dampicourt le 8 mai 1858, fille du no 1
5. NOËL Jeanne Catherine, née à Dampicourt le 18 mai 1860, fille du no 1
6. NOËL Marie Virginie, née à Dampicourt le 30 janvier 1869, fille du no 1
7. ORBAN Véronique, née à Sommethonne le 23 juin 1855, fille du no 2
8. ORBAN Joseph Auguste, né à Tintigny le 5 août 1863, fils du no 2
9. ORBAN François Joseph, né à Tintigny le 7 août 1864, fils du no 2

Le couple habitait précédemment la commune de Saint-Marie-sur-Semois (Étalle). »

En vertu de l’inscription, nous pouvons émettre l’idée qu’ils louaient une des deux maisons de la « ferme du baron de Landre » à Stockfontaine, commune de Ruette, le temps qu’ils construisent leur habitation. Les deux domaines agricoles attenants sont situés sur le territoire de deux communes distinctes. Le sien qui n’est pas encore valorisé, est à Saint-Mard. Il n’est pas encore valorisé. Les villages de Ruette et Grandcourt sont éloignés de l’exploitation. Il faut emprunter une route montueuse pour y accéder.

Quel rêve, quelle envie, quelle idée a poussé Joseph à vouloir quitter son statut de « petites gens » pour celui de cultivateur propriétaire d’un domaine de 26 hectares de bois à mettre en valeur, dessoucher et cultiver.

Nous ne le saurons peut-être jamais.

Mais avant, abordons l’histoire de la maison de Couvreux.

La maison de Couvreux

Le 19 novembre 1873, Joseph achète au banquier Henri Nicolas Weyland de Virton, « une maison d’habitation, composée d’un corps de logis ayant quatre places basses, et un grenier au-dessus, une écurie y tenant ; la place devant cette habitation et le jardin derrière y tenant, le tout formant un ensemble sis au village de Couvreux, lieu-dit Paury, tenant d’un côté à la route vers Écouviez et de l’autre à la veuve Lambinet et tel d’ailleurs que monsieur le vendeur l’a acquis du sieur Jean-Baptiste Lhommel de Couvreux » pour une somme totale de 2.000 francs.

Couvreux.

Couvreux est construit dans un fond de vallée, entre deux buttes-témoins de la cote bajocienne. Pourquoi achète-t-il une demeure qu’il n’habitera pas avec son épouse Marie-Jeanne Cresson ? 

Il s’en sépare le 26 juillet 1876. Il la vend à Maximilien Goffinet et son épouse Marie-Françoise Hannus, pour un prix de 2.500 francs. Malheureusement, les époux Goffinet-Hannus deviennent insolvables. Après commandement et sommation de l’huissier Glouden de Virton, la maison est mise en vente par voie parée le 6 novembre 1878.

Le bien est adjugé pour une somme de 3.000 francs à son gendre Charles Demars, ouvrier de forge et sa fille Marie Victoire Noël épouse Demars. Mais à son tour, le couple Demars-Noël domicilié ensemble à Monthermé, département des Ardennes, décide de s’en séparer. Il mandate Monsieur Joseph Théodore Gerbaux, clerc de notaire et candidat huissier, demeurant à Virton pour procéder à la vente publique, le dimanche 17 octobre 1880 à Couvreux. Grande surprise, les nouveaux acquéreurs sont « Joseph Noël, cultivateur et son épouse qu’il autorise Marie Jeanne Crésson, ménagère, les deux demeurant à Stockfontaine, acquéreur solidaire. » Le prix de la vente est de 1.900 francs.

La maison sera saisie en 1882.

Stockfontaine : La ferme du Laid Bois

Dans la forêt sommitale de la côte de Moselle Nord ou côte bajocienne du nom de sa couche géologique dure, au sud de la commune de Saint-Mard, à la limite de celle de Ruette, proche de la frontière française, un bois d’une superficie de vingt-six hectares quarante ares et trente centiares a été bois mis à blanc étoc, tous les arbres ont été abattus. Le sol du Laid Bois est limoneux principalement à drainage naturel favorable reposant sur le calcaire de Longwy. Géographiquement, nous nous trouvons en bordure du Haut Pays Lorrain. Depuis plusieurs siècles, toutes les bonnes terres ont été défrichées. La forêt est le domaine des sols de moindres qualités. En 1847, une loi avait favorisé le défrichement des terrains incultes. Elle avait eu peu de succès dans le Pays gaumais.

Le 19 septembre 1878, en la demeure de Marie-Jeanne Magnette veuve Bon, à Vieux-Virton et en présence du notaire Octave Foncin, Joseph Noël achète ledit bois « sis à lieu-dit Laid Bois, commune de Saint-Mard, tenant du levant au bois de Saint-Mard, du midi au même bois et à la ferme de Stockfontaine, du levant au Comte de Briey, du nord au même Comte de Briey et au bois de Saint-Mard », le tout à deux kilomètres de toute habitation, excepté la ferme voisine, et à quelques centaines de mètres de la frontière française. La vente est faite au prix de 21.000 francs dont 6.000 sont payés comptant et les 15.000 restants le seront dans vingt ans moyennant intérêts au taux de quatre pour cent par an.

Le couple construit une vaste ferme avec corps de logis, écurie et grange. Les ambitions de Joseph doivent être importantes, car le bâtiment est disproportionné par rapport à la petite partie valorisée du domaine telle que cette carte topographique de la première moitié du 20e siècle reprise ci-dessous nous laisse penser. Nous y voyons une prairie longeant le chemin d’accès à la maison et une terre labourable à l’ouest de celle-ci. Une inscription hypothécaire datée du 8 août 1879 permet de se rendre compte que la famille Noël-Cresson n’a pas ménagé sa peine, environ vingt hectares nouvellement défrichés ont été convertis en terre labourable.

Carte topographique. (c) Le patrimoine cartographique de Wallonie.

L’achat de bestiaux lors d’une vente publique organisée en 1879 par Henri Nicolas Weyland, banquier à Virton, entraînera des conséquences néfastes pour le couple. Beaucoup de tracas pour une vache noire blanche à 350 francs, une vache à 310 francs et une génisse pour 310 francs.

L’expérience de la ferme de Stockfontaine ne paraît pas concluante. Indépendamment des qualités humaines et professionnelles de Joseph, Marie-Jeanne et leurs enfants, le domaine ne semble pas être suffisamment productif pour leur permettre de rembourser leurs dettes. Le terrain vient d’être défriché, il y a donc de nombreuses souches d’arbres qui ne se sont pas encore décomposés et qui empêchent d’exploiter correctement les terres, de plus, la nature du sol est peut-être médiocre. Après cette expérience désastreuse, le nouveau propriétaire plantera des pins sylvestres et des bouleaux pour reconstituer la forêt.

De 1979 à 1881, Joseph contractera trois emprunts pour un montant de 8.160 francs. Le domaine sera systématiquement hypothéqué.

Les curateurs du banquier failli Weyland veulent recouvrer en vain les sommes dues à la suite de la vente du 24 mars 1879. Joseph Noël et Marie-Jeanne Cresson ont déménagé, ils se sont installés à Messempré (France, département des Ardennes). Tout au moins, dans un premier temps, le couple essaye de récupérer leurs mises et rembourser leurs dettes.

La ferme et le domaine de vingt-six hectares sont mis en vente. La valeur de la propriété est estimée à 26.000 francs, mais ne trouve pas d’acquéreur.

Pour n’avoir pas satisfait à leurs obligations, le 23 janvier 1882, l’huissier Glouden de Virton procède à la saisie conservatoire de tous les biens immobiliers de Joseph Noël à savoir une propriété formant corps de ferme sise en lieu-dit Lez-Bois et encore à Stockfontaine, territoire de Saint-Mard et le bâtiment récent y construit ; une maison et jardin à Couvreux.

Maître Netzer, l’avoué poursuivant, rédige le « cahier des charges, clauses et conditions sous lesquelles il sera procédé à la vente par expropriation forcée des immeubles saisis sur Joseph Noël. » Par exploit d’huissier en date du 16 février 1882, il assigne Joseph devant le Tribunal de première instance d’Arlon « aux fins de voir prononcer la validité de la saisie. » Les créanciers de Joseph sont « sommés de prendre communication du cahier des charges. » Aucun d’entre eux ne se manifestera tout comme Joseph Noël qui ne se présente pas à l’audience du 19 avril 1882. Le Président Haury et les Juges Jacqminot et Waxmeiler constatent « que toutes les formalités prescrites par la loi ont été régulièrement remplies, et qu’aucune dire ni observation n’ont été faits au pied du dit cahier des charges déposé au greffe », prononcent le défaut contre le défendeur, ordonnent la vente publique des biens et fixent la date au 15 mai 1882.

Les curateurs obtiennent l’autorisation de publier des avis dans les journaux l’Écho et la Voix du Luxembourg.

Le 15 mai 1882, la maison de Couvreux et le jardin sont adjugés à Jean-Baptiste Davril pour la somme de 2.000 francs. La propriété de Stockfontaine est adjugée à Monsieur Edmond Mortehan pour le compte de Lucie Lambinet veuve Hollenfeltz, pour la somme de 19.500 francs.

La vente forcée n’a pas permis d’apurer l’ensemble des dettes du couple qui s’élèvent comme suit : 15.000 francs et intérêts pour acquisition du Laid Bois, 1.426 francs et intérêts pour acquisitions de bestiaux et inévitablement une partie des 8.160 francs empruntés.

Le 27 février 1893 à Harnoncourt, en exécution d’un jugement sur requête rendu par le Tribunal de première instance séant à Arlon, le vingt et un février 1893, une vente par licitation publique d’immeubles à Lamorteau dépendant tant de la communauté qui a existé entre Jacques Venter et sa première épouse Marie-Jeanne Victoire Themelin, l’un et l’autre décédés, que de la succession, et appartenant indivisément aux requérants héritiers respectifs de Jacques Venter et de Marie Victoire Themelin est organisée. Il y a une trentaine d’héritiers, dont Jean-Baptiste Noël et Georges Noël qui renoncent à l’héritage de leur frère Joseph Noël.

Monsieur Léon Arnold, clerc de notaire, demeurant à Virton, agit comme curateur à la succession vacante de Joseph Noël, en son vivant cultivateur demeurant à la Chute aux Iroquois, Comté d’Attara, Province de Québec (Canada) où il est décédé, nommé à cette qualité par jugement du tribunal de première instance d’Arlon en date du sept février 1893.

Qui dit présence d’un curateur dit passif à rembourser ! Avant son départ pour le Québec, le couple était ruiné.

Si la déconfiture de Joseph Noël et Marie Jeanne Cresson peut se comprendre (acquisition d’un domaine non rentable), celle de son frère Jean-Baptiste Noël dit Babisse est plus problématique. Dans les archives familiales (collection Anaïs Noël), nous le connaissons uniquement au travers de jugements, ventes forcées et exploits d’huissiers. Contrairement à son frère Joseph, il n’émigrera pas et terminera sa vie comme indigent.

Courageux, le couple Noël-Cresson prend son destin en main, direction l’Amérique du Nord.

La lettre de la Chute aux Iroquois (Québec)

« Il y a 100 ans, dans nos forêts, vient notre grand Curé Labelle qui décida qu’il y ferait une colonisation nouvelle. [i]» (Chanson : Le centenaire de Labelle.)

Le récit se poursuit de l’autre côté de l’Atlantique en des terres froides appelées Dominion du Canada et plus spécifiquement dans la province de Québec, ancienne colonie française cédée au Royaume de Grande-Bretagne en 1763.

Une année après la vente forcée de leur domaine, Joseph Noël, son épouse Marie-Jeanne Cresson et ses beaux-fils Joseph et François Orban se rendent à Anvers, port maritime et fluvial en pleine croissance à la suite de la colonisation du Congo. Ils ne choisissent pas l’Afrique, mais le Québec. Les enfants Noël ne sont pas du voyage.

Fond de carte : OpenStreetMap contributors under ODbL - Tiles courtesy of jawgmaps - Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

Le 8 janvier 1891, Joseph écrit une lettre à sa fille Virginie. Laissons-le nous raconter son histoire.

Lettre de Joseph : « Ma chère enfant, comme vous me demandez si on se plaît en Amérique et si on n’a pas trop de peine de vivre, je vous dirai que le pays est bon, mais le froid est plus rigoureux que dans notre pays. Comme on n’avait pas assez d’argent pour aller s’établir dans des pays plus chauds, on s’est établi dans les colonies ou le gouvernement donne des terres presque pour rien. »

Résilience. Nouveau départ dans la vie. Partance pour le Nouveau Monde. Nouveau combat. Quelles que soient leurs origines, les migrants devaient remplir différentes conditions et franchir plusieurs obstacles avant de pouvoir s’installer au Canada. À leur arrivée, l’autorité canadienne, qui veille au respect des lois de l’Empire concernant les passagers (Imperial Passengers Acts), examine, interroge les immigrants, évalue leur santé et leur capacité d’adaptation au pays. Joseph Pickering, lui-même émigré, dans une brochure à destination des nouveaux expatriés, écrit « Il n’existe pas sur terre de paradis parfait [...] seule la persévérance peut assurer le succès » (1831).

Lettre de Joseph : « Je vais aussi vous dire comment nous avons été en commençant. Nous avons été 21 jours sur la mer. On croyait bien y périr, car on devait être arrivé au bout de 12 jours. Nous sommes débarqués à Montréal et on n’aurait su rester dans les pays déjà établis depuis longtemps pour travailler en journée. »

Le 20 septembre 1883, la famille recomposée Noël-Orban a embarqué à bord du navire Helvetia. Le 10 octobre, elle a accosté à Montréal. Deux jours avant, elle avait été recensée lors de l’escale de Québec [8].

En 1873, l’économie du Québec fut grandement affectée par une dépression mondiale. Les Canadiens francophones émigrent massivement vers les villes américaines. Le curé François-Xavier-Antoine Labelle (1833-1890), qui sera sous-ministre du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation de 1888 à 1890, proclame que « l’émigration aux États-Unis est comme un cimetière pour notre race. [ii]» Prêtre-messie-ultramontain, « personnage historique du Québec [9]», le Curé Labelle est une personnalité controversée. Il souhaite maintenir les ruraux francophones dans la province et lance un appel à la colonisation des terres « de l’immense Nord pour y établir les hommes en trop des villages du Québec. [iii]» Son objectif déclaré est de s’emparer « du sol depuis la vallée de l’Ottawa jusqu’à Winnipeg [pour empêcher] qu’on nous passe sur le dos pour aller à la baie d’Hudson. [iv]» Il souhaite « assurer la survie culturelle des Canadiens français dans le nouvel État canadien. [v]» « À cette entreprise [le Curé Labelle] tente d’associer la France ; il était convaincu que des paysans français pourraient l’aider à peupler son Nord et qu’ils s’en trouveraient bien. [vi]» La colonisation des Hautes-Laurentides est francophone et catholique. Sept ans après sa mort, un père capucin [10] dénonce la crédulité de Labelle « quant à l’eldorado agricole des Laurentides. [vii]»  

Lettre de Joseph : « Je ne me faisais pas vieux et les terres dans les pays établis sont chères. Nous nous sommes rendus à 50 lieux de la ville la plus proche, dans des foyers encore tout en bois. Il n’y avait que 3 ans que la Chute aux Iroquois était commencée, mais toutes les belles terres étaient déjà prises et il nous fallait travailler pour vivre. Nous avons travaillé aux chemins du gouvernement. On gagnait 5 francs par jour. Il nous fallait acheter les objets nécessaires pour notre ménage. »

Le canton Joly dans les Hautes-Laurentides est situé à 150 kilomètres au nord de Montréal et à 25 km de Mont-Tremblant [viii]. Il est « entrecoupé par des montagnes et des lacs [d’origine glaciaire], et une grande partie n’est aucunement propre à la culture. Le long de la rivière Rouge, une langue de terre variant en profondeur, mais généralement d’environ ¾ de mille à un mille de chaque côté est cultivable […] L’on rencontre des colons établis sur presque toutes les bonnes terres le long de la rivière Rouge. [ix]» Les collines sont formées de granit, gneiss et graphite. Le mince sol est composé de dépôt fluvio-glaciaire et alluvionnaire avec présence de dépôts sablonneux et sablo-graveleux. La forêt mixte de conifères et feuillus était déjà exploitée avant la colonisation de la seconde moitié du 19e siècle.

Les colons atteignent en 1883 le lieu-dit Chute aux Iroquois, « un lieu bien connu par les coureurs de bois et les forestiers [x]», sur les bords de la rivière Rouge qui était le premier objectif de l’abbé Labelle. Avant l’ouverture de piste, la rivière était la principale voie de pénétration dans l’arrière-pays. Elle était empruntée par les compagnies d’exploitation forestière pour le flottage de billots.

En 1884, « le village est admirablement situé sur le bord de la Rouge dominant une chute capricieuse et puissante, qui murmure sans cesse en se précipitant sur les roches usées par ses caresses prolongées. Un pont magnifique traverse cette chute en s’appuyant sur les rochers énormes qui la forment. […] De beaux moulins à scie et à farine prêtent le flanc à ce courant qui leur donné la vie. »[xi]

La puissance de la force hydraulique de la chute a déterminé son implantation. Il est blotti dans une vallée bordée de monts peu élevés : les montagnes du Dépôt (340 m), du Caribou (440 m) et de La Tuque (475 m) [xii]. À cette époque, 350 colons habitent son territoire [xiii].


Labelle vers 1890 (Wikimedias Commons)

Labelle vers 1910 (Wikimedias Commons)

Le village souffre d’un profond isolement : « Durant les quatorze premières années de la Chute-aux-Iroquois, les commerçants devaient parcourir une distance de plus de soixante-dix milles en voiture lourde, à pas de cheval, par des chemins de terre cahoteux, à travers les montagnes, pour se rendre au centre des affaires le plus près, qui était la petite ville de Saint-Jérôme, pour y chercher leurs marchandises. [xiv]» Quatre jours étaient nécessaires pour faire un aller-retour. « La difficulté des communications, à travers des chemins absolument primitifs, s’oppose [xv]» au développement de la colonie. Le Curé Labelle conçoit le plan de faire prolonger le chemin de fer du Nord.

Le canton Joly est érigé en municipalité le 1er janvier 1883. Le village dénommé Chute aux Iroquois en est le chef-lieu. Mais d’où vient cette appellation poétique.

Le nom se rattache à une légende amérindienne racontant la mort par noyade de plusieurs Iroquois qui tentaient de franchir les rapides de la rivière Rouge en canot. Nous touchons du doigt la face sombre de la colonisation. « À l’arrivée des Blancs, à l’époque française [16e siècle], les territoires des Hautes-Laurentides étaient occupés par les Weskarinis de la Petite Nation et les Algonquins. [xvi]» Les auteurs de l’ouvrage commémorant le centenaire du village écrivaient en 1980 : « Nous déplorons le peu de connaissances sur le groupe amérindien qui a habité les bords de la Chute aux Iroquois. Les derniers Iroquois furent disséminés par l’envahissement des colons dans le Nord. [xvii]» Quant à Richard Lagrange, professeur d’histoire, par ses travaux, a « dérangé les élites locales des Hautes-Laurentides qui soutenaient la mystification de l’épopée colonisatrice du curé Labelle. [xviii]» De nos jours, l’Agence Parcs Canada précise que la « colonisation du Nord-du Québec a perturbé la vie des premiers occupants du territoire : les Anishinaabe [xix]» qui la peuplait depuis près de 6.000 ans.

En 1884, près du pont, le chef iroquois Jos Commandant et sa famille, considérés comme les premiers habitants de Labelle, logeaient dans « une masure faite de bois de bouleau et entourée d’un champ de blé d’Inde. [xx]» Ils chassaient en hiver et « descendaient-ils le printemps avec des charges énormes de pelleteries qu’ils trafiquaient à Saint-Jérôme, en passant au comptoir de M. de Montigny, qui échangeait, avec eux, vivres, provisions et argents. [xxi]» Joe Commandant « semblait regarder en philosophe le trémoussement des blancs autour de lui. Il s’étonnait qu’on se morfonde à défriche la forêt. Il prétendait vivre mieux que ces gens-là. “Si je veux un lièvre, disait-il, je l’ai ; si je veux me régaler de poisson, je le prends, tandis que le canayen (sic), de la galette, toujours.” [xxii]»

L’idéologie austère du Révérend Labelle sans conteste est à l’opposé : « N’est pas colon qui veut. Pour suivre cette carrière, il faut être courageux, ferme dans ses convictions, robuste et façonné d’avance par une vie dure et pénible aux travaux des champs, ou bien être un artisan dont le métier a toujours exigé un fort exercice corporel. La femme doit être d’une constitution vigoureuse et initiée à tous les secrets de la vie agricole. Sur une terre neuve, la femme vaut l’homme par son travail et son industrie. […] [xxiii]»

Fond de carte : OpenStreetMap contributors under ODbL – Umap (https://umap.openstreetmap.fr).

Trêve de digression. De nos jours, à la sortie nord-ouest du village, dans un lotissement, une rue est nommée « Orban » en référence aux beaux-fils de Joseph Noël. Dans l’historique de la toponymie de Labelle, il est écrit : « Orban, rue. Arrivée à Canton Joly en 1884 après une longue traversée de l’Atlantique, Marie-Jeanne Cresson, belge, veuve de Joseph Orban, est accompagnée de ses fils François et Joseph ainsi que de son compagnon Joseph Noël. À leur arrivée, ils sont hébergés par un cultivateur du nom de Damase Labelle. [xxiv]» Le couple ne vit pas en union libre. Ce n’est pas la norme de l’époque. Ils se sont mariés le 1er juillet 1873 à Sainte-Marie-sur-Semois (Europe, Belgique, province de Luxembourg, Pays Gaumais). Le terme usité par l’autrice est peut-être simplement un synonyme moins administratif qu’époux. Cependant, cette présentation, qui me fait sourire, met en lumière une évidence. Ce n’est pas la famille Noël qui a émigré, mais la famille Orban. Ce sont les orphelins Orban accompagné de leur mère et de leur beau-père qui s’installent à Labelle. 

Lettre de Joseph : « L’année avant que François se marie, nous avons occupé la terre d’un monsieur qui nous a fait du bien. Nous avons semé sa terre à notre profit pour la nettoyer et nous avons eu une bonne récolte que nous avons partagée avec François. François est allé à son ménage et nous sommes restés-nous deux. Ce Monsieur nous a encore laissé sa terre un an à notre profit et nous avons eu la récolte à nous seuls. Cela nous a fait du bien. Puis il nous a encore laissé une petite terre trois années, avec la faculté de l’acheter pour 1000 francs par payement de 100 francs par année sans intérêt, mais c’était à 12 lieux du village. Comme on se fait vieux, nous avons trouvé que c’était trop loin. Nous avons nettoyé sa terre, mais nous n’avons rien eu à payer en la quittant. Il était content de nous, il nous a donné deux vaches et un gros fourneau dont on fait sa cuisine et on cuit son pain, et bien des ustensiles de ménage. »

Le monsieur évoqué ne peut être que monsieur Damase. La famille Noël Orban occupe sa terre en 1885. Elle peut l’exploiter une année supplémentaire puis cultiver trois autres années une petite terre. En 1889 ou 1890, le couple achète leur propre terre. Cependant, Joseph Noël et Marie-Jeanne Cresson n’apparaissent pas dans la liste des nouveaux colons, de 1881 à 1895, qui ont obtenu, du gouvernement, des lots à La Chute-aux-Iroquois [xxv].

La Loi des terres fédérales permet au gouvernement de transférer la propriété de terres publiques à un individu moyennant respect de nombreuses conditions. Le colon doit « prendre possession de la terre dans les six mois suivants la date de la vente […], y résider et l’occuper pendant au moins deux ans. [xxvi]» Il doit la défricher, la mettre en culture et construire sa maison. 

Ce que Joseph et Marie-Jeanne n’ont pu réaliser à Stockfontaine, ils le font avec succès à Labelle.

Lettre de Joseph : « Pendant ce temps nous avons trouvé un lot de belle terre. »

« On choisit un lot de terre de quarante hectares pour 150 francs, mais c’est en bois debout. Il faut bûcher et défricher environ 3 hectares en cinq années et y bâtir pour en faire sa résidence. »

« Nous nous y sommes établis. Nous avons bâti une maison, une écurie, une grange et nous avons défriché 10 journal (sic) de terre. En commençant nous avons été bien pauvres, nous avons bien travaillé et bien fait des économies. Aujourd’hui nous vivons facilement en cultivant notre terre. Nous avons trois vaches à lait. Nous tuons deux cochons. Nous avons tué une vache pour manger en hiver. »

« Le défrichement se fait en abattant les arbres à un mètre de hauteur et on coupe le bois par longueurs de 15 pieds. Vers le 15 de mai, on met le feu dans tout ce que l’on a bûché. Tout le gros bois qui reste, on le réunit par tas et on y met encore le feu. On sème la même année du blé de printemps ou de l’avoine, de l’orge ou des pommes de terre qui viennent très bien. On prend deux récoltes, ainsi on herse entre les souches et puis on sème du foin ou du trèfle. Cela dure huit à dix années. Au bout de ce temps, les souches sont pourries. On les arrache et on laboure, voilà la terre défrichée. »

Joseph ne précise pas à quelle saison, il coupe les bois. Rameau de Saint-Père dans La Réforme sociale explique due les premiers colons défrichaient en hiver lorsque la neige pouvait porter les traîneaux.

Les habitants « vivent dans une économie agraire de subsistance. [xxvii]» Joseph l’écrit : « Mais il faut consommer ses produits, car tous les habitants ont à vendre et on est trop éloigné de la ville pour vendre. Nous espérons un chemin de fer dans deux ans. L’argent est rare faute de commerce. » La colonisation du territoire a été trop rapide, ne laissant pas le temps aux communautés de se consolider. Les implantations sont isolées des centres commerciaux.

Joseph termine sa lettre comme suit :

« Mais l’année dernière j’ai été bien malade. J’ai reçu tous les sacrements, mais je suis guéri et je suis redevenu aussi fort que je l’étais auparavant. Marie aussi a été malade tout l’été, mais à présent elle va mieux.

Nous sommes à 5 minutes de François et à 10 de Joseph, à 1 heure du village. Le village n’a que 12 maisons, chacun est sur sa terre. »

Onze mois après, Joseph s’éteint. Il meurt le 21 novembre 1891 à Chute aux Iroquois, âgé de presque 61 ans. Il ne verra pas l’entrée en gare du petit train du Nord en 1893. En 1894, le village prend le nom de Labelle en hommage au curé de Saint-Jérôme, qui persuada de nombreux Canadiens français à coloniser les régions sauvages des Hautes-Laurentides. En 1899, le premier pont vétuste est détruit et remplacé par un pont en bois couvert. Malgré tous les efforts des cultivateurs, les fermes des Laurentides auront un faible rendement. Les terres sont médiocres peu propices à l’agriculture. Le capucin Alexis de Barbezieux en 1897 limitait l’héritage du curé Labelle à « avoir conduit des familles sur des terres de roche et y vivre misérablement. [xxviii]»  

Au 20e siècle, la région se tournera vers le tourisme.

Joseph et François Orban

Le 1er février 1886, Joseph Orban épouse à Chute aux Iroquois, Albina Groulx.

Le couple aura quinze enfants. Joseph est l’ancêtre de tous Orban de Labelle. Le 2 février 1895, il y acquiert un lot de terre (lot no 31 du rang H [xxix]) et y construit sa maison.

Maison de Joseph Orban.

François Orban épouse le 9 novembre 1886 à Chute aux Iroquois, Catherine Lumina Saindon. Les trois premiers enfants du couple naissent à Chute aux Iroquois et émigrent aux États-Unis d’Amérique. Ils s’installent dans la région de Boston.

François Orban.

Les enfants de Joseph (restés en France et Belgique)

Jean-Baptiste Noël est forgeron à Monthermé où il a épousé Adeline Demars le 1er juillet 1877. Le couple a sept enfants : Juliette (o 1878) ; Ida (o 1880) ; Marie (o 1882) ; Jules (o 1884) ; Eugène (o 1887) ; Méa (o 1893) et Rolland (o 1900). Les cinq premiers enfants sont nés à Monthermé, Méa à Crespin (département du Nord) et Rolland le dernier à Montataire (département de l’Oise) où ils ont déménagé pour y travailler dans la sidérurgie.

Jean-Baptiste Noël.

Marie-Victoire Noël épouse le 8 octobre 1877 à Sainte-Marie-sur-Semois, Jean-Baptiste Charles Demars, forgeron domicilié à Monthermé, village où résidait Jean-Baptiste Noël. À cette époque, Marie-Victoire réside à Croix Rouge, son père est domicilié à Huombois, hameau de Sainte-Marie-sur-Semois, Marie Victoire et Charles Demars s’installeront brièvement à Couvreux où naîtra leur fils Édouard en 1880. Ils quittent Couvreux et nous perdons leur trace.

Jeanne-Catherine Noël épouse Henri Witdouck. Le couple habite Halluin dans le département du Nord. Leur fils Henri Félix naît le 30 octobre 1883 à Halluin.

Jeanne-Catherine Noël.

L’union ne semble pas être une réussite si l’on se réfère à un passage de la lettre de son père Joseph Noël écrite en 1891 à Chute aux Iroquois : « J’ai eu des nouvelles de Catherine l’année dernière. Pauvre enfant, d’après ce qu’elle me dit, elle n’est pas heureuse en ménage. Veillez ma chère enfant, si toute fois vous êtes pour vous établir dans votre vie, de faire bien attention à prendre un jeune homme de bonne conduite et de bonnes mœurs. »

Marie Virginie Noël, la benjamine, entre dans les ordres à l’âge de 32 ans, peut-être influencée par la cousine de son père, Clémence Agathe Saint-Mard, congréganiste de la Sainte-Vierge, chez qui elle logeait en 1891. Sous le nom de Sœur Ursule, « elle s’est doucement éteinte sans souffrance », « lorsqu’une atteinte l’a terrassée et l’a maintenue durant plusieurs jours dans une sorte de coma », le 13 février 1948 au couvent des Sœurs de la Charité à Salzinnes (Namur).

Marie Virginie Noël — Sœur Ursule.

Informations généalogiques :

Joseph Noël (1830-1891) appartient à la lignée Saint-Mard. Il existe deux liens de parenté entre lui et l’auteur :

  1. Le plus ancien remonte à l’ancêtre commun des Saint-Mard à savoir Pierre l’aîné St Mard (+ 1693 Buzenol) et Marie Maillet (+ 1736 Buzenol). Joseph Noël appartient à la branche ainée, l’auteur à la branche benjamine.  
  2. Le second plus récent. L’ancêtre commune est Jean-Baptiste Emmanuel Guillaume (1774-1851 Dampicourt) époux de Marie-Thérèse Collin (1775-1848 Dampicourt), fils d’Anne Saint Mard (1737-1806 Dampicourt). Sa fille Anne Agathe (1810-1863) est l’épouse de Louis Saint-Mard (1806-1878), ancêtre de l’auteur. Son autre fille Jeanne-Marguerite Guillaume (1805-1879) est l’épouse de Pierre Joseph Noël (1802-1878), père de Joseph Noël.

Descendants de Pierre Joseph Noël (1802-1878) x Jeanne Marguerite Guillaume et Ascendants de Joseph Noël (1830-1891).

Descendants de Thomas Orban, ascendants de Joseph Orban (1820-1864), ascendants de Marie-Jeanne Cresson (1831-1907).

Archives consultées :

Archives de l’État à Arlon (Belgique)

Archives privées

Bibliographie

  1. DEMERS, Geneviève ; et al. Municipalité de Labelle : historique de sa toponymie notre patrimoine. Labelle, Le Service d’Urbanisme de la Municipalité de Labelle et La Société d’Histoire de Chute aux Iroquois, 2011-2013. [p.55] ; https://www.municipalite.labelle.qc.ca (Tourisme / Histoire et patrimoine)
  2. DENIS, Raymond et al. De la chute aux iroquois à Labelle, 1880-1980. Ville La Salle [Montréal], Édition Hurtubise HMH Ltée, 1980. [pp.39, 42, 54, 57, 73, 124] ; https://www.municipalite.labelle.qc.ca (Tourisme / Histoire et patrimoine)
  3. GODARD, Robert. Labelle : Aperçu historique 1878-1955. Montréal, Centre Eucharistique, 1956. [pp.20, 23, 24, 26, 43-48, 106, 112, 117, 125] ; https://www.municipalite.labelle.qc.ca (Tourisme / Histoire et patrimoine)
  4. LABELLE, A. (Révérend, curé de Saint-Jérôme). Pamphlet sur la colonisation dans la Vallée d’Ottawa, au nord de Montréal, et règlements et avantages de la société de colonisation du diocèse de Montréal. Montréal, John Lovell et fils, 1880. [p.20] ; https://qspace.library.queensu.ca/server/api/core/bitstreams/ba2c923c-1fd9-4658-91c5-3d662a2141b9/content
  5. LAGRANGE, Richard (professeur d’histoire, Cégep Édouard-Montpetit). Comment parler des Autochtones dans les cours d’histoire au cégep ? In Actes du Colloque 2009 du Service interculturel collégial (SIC), pp.27-34. [p.28] ; https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/20725/lagrange_SIC_2009.pdf?sequence=1
  6. LAGRANGE, Richard. Le pays rêvé du curé Labelle. Emparons-nous du sol, de la vallée de l’Ottawa jusqu’au Manitoba. Québec, Presses de l’Université Laval, 2021. [pp.1-8, 31] ;
  7. Le Vécu des immigrants : MADOKORO, Laura. Les guides et les manuels pour les immigrants ; MADOKORO, Laura. La réglementation gouvernementale ; WRIGHT, Glenn. Les documents de voyage ; MURRAY, Jeffrey S., Les concessions de terre ; ELLIOTT, Bruce S. Mémoires et journaux intimes d’immigrants ; https://www.collectionscanada.gc.ca/ (Bibliothèques et Archives Canada).
  8. NOËL, Jacques. Mes ancêtres. Élancourt.
  9. RAMEAU de SAINT-PÈRE, E. Études comparées d’histoire contemporaine. L’expansion des franco-canadiens et la colonisation française en Algérie. In La Réforme sociale, bulletin de la société d’économie sociale et des unions de la paix sociale. Deuxième série – Tome VIII, neuvième année, juillet-décembre 1889. Paris, Secrétariat de la société d’économie sociale, 1889, pp.654-667. [pp.658, 661]
  10. RAMEAU du ST. PÈRE, E. Les cantons du nord. In Annuaire de l’Institut canadien de Québec, 1889, no 13. Imprimerie A. Coté et Cie., 1889, pp.7-17. [p.9]
  11. SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DE CHUTE AUX IROQUOIS. Histoire et patrimoine, la municipalité ; https://www.municipalite.labelle.qc.ca (Tourisme / Histoire et patrimoine)

Sources iconographiques :

Cartographie

Le site « Le patrimoine cartographique de Wallonie » n’existe plus. Les cartes topographiques anciennes, dont celles du dépôt de la guerre (1865 - 1880), peuvent être consultées sur les sites Cartesius et WalOnMap (Géoportail de la Wallonie).



Notes

[1] FOUSS, Edmond P. La Gaume. Quelques aspects de la terre et des hommes. Collection Wallonie, art et histoire. Paris-Gembloux, Édition Duculot, 1979, p.5.

[2] 17 heures.

[3] Léopold Louis René Joseph Baron de Bonhomme époux d’Olympe Angélique Lontieme, propriétaire du château d’Aigremont-la-Neuve (Dampicourt).

[4] JOANNES, Bernard. Et si Dampicourt et Mathon m’étaient comté… Les éditions de La Joyeuserie, 2005, p.141.

[5] Joannes, p.118.

[6] Vente publique du 3 novembre 1874. Dans l’état actuel de la recherche, je ne connais pas la date et le mode d’acquisition de la maison de Robelmont.

[7] Le subrogé tuteur est toujours choisi dans la famille du parent décédé. Peut-être s’agit-il d’un frère à Alexise Henrion. Dans certain cas, tempérament, le parant survivant peut perdre sa qualité de tuteur légal et naturel des enfants mineurs. Le 3 juillet 1874, en la salle d’audience de la justice de paix à Virton, est procédé au partage au partage en deux lots d’une parcelle de terre, située sur le territoire de Robelmont, dépendant de la communauté qui a existé entre ledit Joseph Noël et feu son épouse. Il y opposition d’intérêts entre le père et ses enfants, car le partagent se fait entre eux. En conséquence, Georges Noël, leur oncle, tailleur d’habit demeurant à Dampicourt, agira au nom et comme tuteur ad hoc de : A. Jean-Baptiste Noël, B. Marie Victoire Noël, C. Jeanne Catherine Noël, D. et de Marie Virginie Noël, tous quatre enfants mineurs procréés du mariage qui a existé entre ledit Joseph Noël et défunte Alexise Henrion, attendu que les intérêts de ceux-ci sont en opposition avec ceux de mon dit Sieur Joseph Noël leur père et tuteur.

[8] Liste des passagers de l’entrepont de l’Helvetia pour Montréal. Index des listes de passagers pour le port de Québec 1865-1900 : http://www.collectionscanada.gc.ca/base-de-donnees/passagers-quebec-1865-1900/001082-100.01-f.php

Le patronyme Orban est orthographié Orbon dans ladite base de données.

Le 9 mai 1885, pris dans les glaces, l’Helvetia sombra.

[9] Depuis 2016, en vertu de la loi sur le patrimoine. (Lagrange, 2021, p.7)

[10] Le père capucin Alexis de Barbezieux.



Références

[i] Denis, 1980, p.18

[ii] Godard, 1956, p.26

[iii] Godard, 1956, p.26

[iv] Godard, 1956, p.26

[v] Lagrange, 2021, p.1

[vi] Godard, 1956, p.26

[vii] Lagrange, 21, p.2

[viii] ROBIDOUX, Jean-Philippe. Labelle en quête d’identité. Plaquette, Projet Terminal Hiver 2010, Baccalauréat, Institut d’urbanisme, Faculté de l’aménagement, Université de Montréal.

[ix] Rapport du géomètre provincial William Crawford (1878) In : Denis, 1980, p.73

[x] Rameau, La Réforme sociale, 1889, p.660

[xi] Récit du voyage de Testard de Montigny à la Chute aux Iroquois à l’automne 1884. In : Godard, 1956, p.112

[xii] Altitude : https://fr.wikipedia.or ; Contributeurs OpenStreetMap.

[xiii] Godard, 1956, p.112

[xiv] Godard, 1956, p.117

[xv] Rameau, La Réforme sociale, 1889, p.661

[xvi] Lagrange, 2009, p.28

[xvii] Denis, 1980, p.54

[xviii] Lagrange, 2009, p.28

[xix] Lagrange, 2021, p.8

[xx] Témoignage de Testard de Montigny en 1884 In : Denis, 1980, p.54

[xxi] Ibidem

[xxii] Témoignage de Testard de Montigny en 1884 In : Godard, 1956, p.20

[xxiii] Labelle, 1880, p.20

[xxiv] Demers, 2011-2013, p.55

[xxv] Godard, 1956, pp.43-48

[xxvi] Denis, 1980, p.39

[xxvii] Denis, 1980, p.39

[xxviii] Lagrange, 2021, p.2

[xxix] Godard, 1956, p.48