Carnets de notes - Une famille Saint-Mard

Un ancêtre singulier : Jean-Baptiste Saint-Mard (1767-1816)

Jean Baptiste Saint Mard est orphelin de père à l’âge de 7 ans et orphelin de mère à 20 ans. Il ne sera pas laboureur, mais prêtre. Il entre au séminaire. Les vicissitudes de l’histoire le ramènent à son état d’agriculteur. Il se marie et fonde une famille. Il achète des terres. Lettré, il est nommé adjoint-maire.

En 1814, l’histoire bouscule à nouveau sa destinée. Il devient étranger dans le village qu’il cogérait. Pour retrouver ses droits de citoyenneté, il rentre en France en 1816 où il y meurt prématurément.

Ce n’est pas un ancêtre ordinaire.

Pêle-mêle, ci-dessous, quelques tranches de vie.

Le séminariste

Études

Jean-Baptiste Saint-Mard a reçu une formation intellectuelle pour devenir prêtre.

À Virton, en 1788 et 1789, il fréquente avec assiduité la classe d’éloquence au collège des Récollets. Il réussit avec « grand fruit. » [1] Aurélien, professeur de poésie et rhétorique précise qu’il « s’est comporté avec fraîcheur de mœurs, intégrité de vie et observance à l’égard de ses éducateurs, de sorte qu’il mérite d’être recommandé par nous. »

En 1789 et 1791, il étudie au Séminaire du Saint-Esprit à Paris. La formation comprend une année de philosophie et une année de théologie. « Il a participé avec simplicité, régulièrement aux exercices du séminaire et fréquenté les sacrements et a toujours été de bonnes mœurs. » [2]

Il termine sa scolarité en 1792 à Trèves au Séminaire Épiscopal Clémentinus (collège de la Sainte Trinité) où il a suivi un an de théologie. [3] Joanny Gestr, professeur de la faculté, le recommande à être promu à un état supérieur, car Jean-Baptiste est « de bonnes mœurs, très soucieux de l’observance et prudent. »

Jean-Baptiste est un élève brillant. Dans toutes les écoles qu’il fréquente, il reçoit des louanges et une lettre de recommandation très favorable.

La Révolution française en toile de fond de son parcours

Le 1er septembre 1788 [4], Jean-Baptiste Saint-Mard entre au collège des Récollets de Virton pour une année d’éloquence. Le 22 juillet 1789, il reçoit une lettre de recommandation et de réussite.

Virton est une ville du Comté de Chiny (duché de Luxembourg). Thonne-les-Près, son village natal, fait partie du Royaume de France.

Le 4 mai 1789, Louis XVI ouvre les états généraux qu’il a convoqués. Le 17 juin, les députés se proclament assemblée nationale. Le 14 juillet 1789 à Paris, des manifestants s’emparent de la prison de la Bastille. La Révolution française débute. Le 4 août 1789, les privilèges sont abolis.

Le 7 août 1789, Pierre Mathieu, curé de Thonne-les-Près, produit un extrait du baptême de Jean-Baptiste Saint-Mard (28-10-1767). Deux jours plus tard, le dimanche 9 août [5], ledit prêtre délivre une attestation faisant connaître que Jean Nicolas de Hontheim, suffragant de Trèves, a conféré le sacrement de confirmation à Jean-Baptiste . La cérémonie s’est déroulée en l’église paroissiale de Thonnelle, village voisin de Thonne-les-Près. Le curé en en a acquis la certitude du témoignage de plusieurs paroissiens qui y étaient présents.

Le même mois d’août, en la chapelle castrale de Montquintin, Jean-Nicolas de Hontheim, évêque suffragant de Trêve et seigneur temporel de Montquintin, confère la première tonsure à Jean-Baptiste [6]. Jean-Nicolas de Hontheim habitait le château de Montquintin depuis que l’Église avait découvert qu’il était l’auteur Justinus Fébronius. [7]

Fin août, Jean-Baptiste se rend à Paris. Le 28 août, il est vu à Château-Thierry [8]. Le lieutenant Marcy l’écrit sur la lettre de recommandation des Récollets.

Septembre 1789, c’est la rentrée au Séminaire du Saint-Esprit à Paris. Il y restera deux ans pour y suivre une année de philosophie et théologie. [9] Deux années riches en événements politiques. Le 12 juillet 1790, l’Assemblée vote la Constitution civile du clergé. Les temps deviennent durs pour les religieux.

Louis XVI, Roi de France, s’enfuit de Paris. Peu rapide et encadré par des officiers inefficaces,il est arrêté à Varennes le 21 juin 1791. Il était attendu dans la maison de l’Abbé de Courville à Thonnelle. [10]

Être un apprenti curé natif d’un village sous la place forte de Montmédy là où le roi aurait dû diriger la France n’est pas une situation confortable. Le lundi 11 juillet 1791, Jean-Baptiste reçoit du Séminaire du Saint-Esprit une lettre de recommandation et se rend à de Trèves.

Sa route passe par la Meuse. Il a peut-être séjourné à Thonne-les-Près ou dans voisinage durant l’été 1791. Le risque me paraît limité. Néanmoins, il a pu avoir un comportement plus prudent. Il est arrivé au plus tard en septembre à Trèves.

L’année 1791 marque un durcissement de la Révolution. Différents décrets frappent les Émigrés. Le 9 novembre 1791, ils sont sommés de rentrer en France avant le 1er janvier 1792. Le 14 décembre 1791, Louis XVI demande à l’Électeur de Trèves d’interdire les rassemblements d’Émigrés.

Le 16 décembre 1791, dans la chapelle palatine de Trèves, Monseigneur Cuchot d’Herbain organise une cérémonie. Jean-Baptiste Saint-Mard y reçoit les quatre ordres mineurs. [11]

Jean-Baptiste achève son année de théologie avec fruit et obtient une lettre de recommandation du collège de la Sainte Trinité à Trèves, le vendredi 14 septembre 1792.

Nous perdons sa trace durant deux années.

Le 21 janvier 1793, Louis XVI est supplicié. Le 26 avril 1794, les armées françaises gagnent une bataille à Fleurus. Le 1er octobre [12], la France annexe le Luxembourg. Virton et Montquintin font désormais partie du département des Forêts. Robespierre installe un régime de Terreur qui se termine par son renversement et son exécution le 27 juillet 1794.

Jean-Baptiste réapparaît en 1794 à Dampicourt. Le 10 décembre de ladite année, il est parrain de Marie Jeanne Thiry fille de Guillaume Thiry et Marie Jeanne Jacques. En 1796, il y épouse Anne Marie Simon et fonde une famille.

La succession de François Joannes (+ 10-04-1806)

Le jeudi 10 avril 1806, Jean-François Joannes âgé de 75 ans meurt à Dampicourt. Cultivateur et fermier, il était, semble-t-il, célibataire sans enfant. [13]

Sa succession devait être répartie entre ses frères, sœurs, neveux et nièces survivants. Mais elle est grevée de dettes et charges. Plusieurs héritiers vont s’en défaire au profit de Jean-Baptiste Saint-Mard. Ce dernier est propriétaire à Dampicourt.

Le 16 avril 1806 soit 6 jours après le décès de Jean-François Joannes, Nicolas Joseph Joannes, Henri Ancion et Nicolas Joannes cèdent leurs parts dans la succession à Jean-Baptiste Saint-Mard. En contrepartie, Jean-Baptiste Saint-Mard doit se charger de toutes les dettes et charges contractées par le défunt. La cession est faite en présence Monsieur Neunheuser, propriétaire à Aigremont, et Monsieur Machuray aussi propriétaire à Cobreville, bailleur du trépassé [14].

Le frère du feu Jean-François Joannes, Nicolas Joseph et sa femme Jeanne Collignon vivent à Epiez-sur-Chiers. Le second Nicolas Joseph est un neveu, il est le fils François Joannes (1717-1810), demi-frère du défunt. Propriétaire, il se porte fort pour ses frères et sœurs. Quant à Henri Ancien, il n’est pas identifié.

Le 20 avril de la même année, Jean-Baptiste Franchet, cultivateur à Thonnes-les-Près, neveu de Jean-François Joannes, se porte fort pour ses frères et sœurs. Il abandonne tous les droits et prétentions sur la succession à eux échus à Jean-Baptiste Saint-Mard. Les conditions sont plus importantes que dans l’acte du 16 avril [15].

Jean-Baptiste Saint-Mard doit payer les charges et dettes du défunt. Il doit remettre à l’échéance d’une vente destinée à réaliser les biens de Jean-François Joannes, une somme de 300 francs à l’abandonnant (JB Franchet) à la décharge du sieur Machurai de Cobreville. En sus, Jean-Baptiste Franchet est autorisé à choisir un cheval dans l’écurie du défunt. Le cheval sera partagé avec ses frères et sœurs (Marie Françoise, Marie, Jean, Jacques et lui-même).

Trois jours plus tard, le 23 avril, François Montlibert abandonne la part de succession échue à son épouse Anne Marie Saint-Mard, nièce de Jean-François Joannes [16]. Il se porte fort pour son beau-frère absent, Jean-Joseph Saint-Mard, cavalier dans les armées de Napoléons Ier.

Jean-Baptiste Saint-Mard qui a accepté la transaction devra payer toutes les charges et dettes du défunt. À l’échéance de la vente des effets du défunt, l’abandonnant et son frère recevront chacun une livre tournois pour leur part de la succession de dom Ambroise Joannes [17] à la décharge du sieur Machurai de Cobreville, et en sus 64 francs.

Le 30 avril, Jean-Baptiste Saint-Mard signe un accord avec Pierre Antoine Machuray de Cobreville et Maximilien François de Livarchamps, ce dernier agissant en son nom et pour son père [18]. En sa qualité d’héritier de François Joannes, Jean-Baptiste Saint-Mard doit payer 220 écus pour coûts des fermages restant dus. Il doit aussi « remettre à Machuray le billet de 85 Louis que dom Ambroise Joannes lui avait fait avance » et donner 70 cens à François de Livarchamps à sa décharge.

À la vue des actes, nous pouvons conclure que Jean-Baptiste Saint-Mard avait suffisamment de moyens financiers pour courir le risque d’une succession déficitaire.

Du 27 au 29 avril 1806, la vente publique liquide les meubles et effets délaissés par Jean-François Joannes. Les covendeurs sont Jean-Baptiste St Mard, Pierre Joseph Simon et Pierre Simon, tous les trois de Dampicourt. La vente comprend cinquante-quatre articles, dont trois chevaux, sept juments, un poulain, quatre vaches, un veau, deux bœufs, deux porcs, douze poules et un coq [19]. Elle rapporte la somme de deux mil deux cent six francs et quinze centimes. La somme permit certainement de couvrir les dettes de Jean-François Joannes et les différentes charges liées à cette succession. Jean-Baptiste St Mard est fort probablement rentré dans ses frais.

Dans les archives familiales, nous trouvons un dernier acte daté du 27 juillet 1806, et fait à Épiez [20]. Il concerne les héritiers et cohéritiers de François Joannes, cultivateur, laboureur et syndic à Épiez. Il s’agit du François Joannes, né le jeudi 11 mars 1717 à Dampicourt, fils légitime de Pierre Joannes, et de Marguerite Picard. Il est le demi-frère Jean-François Joannes de Dampicourt dont nous venons de parler. De son union avec Marie Barbe Genin naquirent cinq enfants. De sa seconde épouse, Marguerite Gaveroy, il en a eu six.

Il est décédé le lundi 10 septembre 1804, à l’âge de 87 ans, à Epiez-sur-Chiers.

Établir les liens familiaux entre les héritiers de François et les cohéritiers descendants de Pierre Joannes et Jeanne Gravet reste un problème. Nicolas Joseph Joannes, Nicolas Joseph Joannes le jeune, Pierre Joseph Simon, Jean Franchet et Jean-Baptiste Saint-Mard font partie de la descendance de Pierre Joannes (naturellement ou par alliance).

Louis Wathier et Nicolas Jamin sont des petits-fils du défunt qui est le père de leur mère respective Odile Thérèse et Odile Joannes. Les autres signataires ne sont pas identifiés : Jean Hermand, Louis (Lemier), Jean-Baptiste Prothein, Jeanne Ancion, Nicolas Ancion et Mathieu Joannes. Sont-ils les héritiers d’Épiez ?

Dans cet acte, les héritiers vendent aux cohéritiers les droits de succession et donation de François Joannes pour un prix de 400 francs.

L’adjoint au maire

Le 12 juin 1806, Jean-Baptiste Saint Mard est nommé aux fonctions d’adjoint de la Mairie de Dampicourt en remplacement du Sieur Joannes, décédé[21]. Le bourgmestre de Virton l’avait recommandé au préfet du département en ces termes : « Je crois que le Sieur Jean-Baptiste Saint Mard, propriétaire à Dampicourt conviendrait mieux à ces fonctions. Il a sur l’autre l’avantage d’avoir fait son cours d’étude avec quelques distinctions, de pouvoir par conséquent entretenir une correspondance, s’instruire des lois dont il doit assurer l’exécution ; ce que le Sieur Simon ne pourrait faire qu’après une explication que les fonctions de son état ne comportent guères. D’ailleurs le Sieur Saint Mard est plus indépendant et a par conséquent moins de raisons de ménager tel délinquant. [22]»

Dans les archives familiales,un acte du 10 mai 1813 se rapporte à son activité communale. Il s’agit d’une quittance signée par le Receveur de l’Enregistrement et des Domaines à Virton pour les bois nationaux.

La commune de Dampicourt paye 13 francs 3 centimes pour délivrance des bois de chauffage et 23 francs 82 centimes pour droit d’usage dans la forêt de Guéville « à raison de 84 centimes par habitant qui fut au nombre de 28 »[23].

Les sommes en question se rapportent à l’exercice 1811 enrôlé en 1812.

L’expert immobilier

Le 2 juin 1812, Jean Baptiste Saint Mard prête serment par-devant le juge de paix du canton de Virton. Avec Antoine Jonnette de Grandcourt et Jean Toussaint ex-maire domicilié à Ruette, il est chargé des estimés des immeubles, situés sur le territoire de Ruette, Grandcourt, Signeulx, Saint Remy, Dampicourt, et Couvreux en vue de procéder à leur partage [24].

Le 23 août 1814, Gilles Darge invite Pierre Brasseur à comparaître devant le tribunal de paix du canton de Virton. Leur litige porte sur une somme de 25 francs pour indemnité de la récolte d’un champ de 17 ares 15 centiares de terre labourable [25].

Les parties semblent de bonnes compositions. Elles décident et choisissent de commun accord un expert immobilier, en l’occurrence Jean-Baptiste Saint-Mard.

Au recto de l’acte se trouve un décompte, mais l’encre illisible ne nous permet pas de le comprendre.

Séquestre judiciaire

Les sources consultées :

Le défunt :

Jean Étienne Ferdinand Deprez de Barchon, naguère seigneur de Dampicourt et Mathon, est en état de démence à la fin de sa vie. Sous l’ancien régime, il était juge féodal à la cour de justice de la prévôté de Virton. De 1796 à 1809, il était le maire de Dampicourt [26].

Les acteurs principaux

L’huissier :

Les faits

Le 12 juin 1813, Jean-Baptiste Saint-Mard, adjoint au maire de la commune de Dampicourt, est cité à comparaître en qualité de témoin, le 15 juin en la Chambre du Conseil de Neufchâteau. La citation lui est remise par Nicolas Joseph Burton, huissier à Neufchâteau. « Salaire lui sera accordé », mais « que faute de comparaître ledit jour et heures il encourra la peine convenue par la loi. » [27]

Les faits portent sur une suspicion de spoliation de biens immobiliers appartenant au sieur Deprez faite par ses anciens domestiques Jacques Herbain et Marie-Joseph Guillaume. Par testament notarié du 30 juin 1810 enregistré le 15 janvier 1813, Jean Ferdinand Deprez désigne Nicolas d’Arimont comme son légataire universel. Après le décès de Deprez, Nicolas d’Arimont entame une procédure par-devant le tribunal de première instance de Neufchâteau pour faire annuler les ventes faites le 25 septembre et le 18 novembre par le testateur au profit du couple Herbain Guillaume.

Dans ses conclusions, Maître Jacquier décrit la chronologie des faits. Sur base des dépositions des témoins, il a l’intime conviction que le sieur Deprez était en état de démence et d’imbécillité depuis le temps de la fenaison de 1810, soit la fin du printemps ou le début de l’été. D’une certaine manière, cette conclusion le met dans une position difficile. Le testament au profit de son client, le sieur d’Arimont, a été rédigé le 30 juin de la même année. D’une manière illogique, il ne semble point être contesté par l’intervenante Anne Françoise Deprez, ex-religieuse à Charleville, héritière légitime du défunt ?

Le 4 mars 1811, un Conseil de famille constate la démence du sieur Deprez. Par jugement du 13 mars 1812, Ferdinand Deprez est interdit pour cause d’aliénation mentale. Il est placé sous tutelle. Le jugement n’est pas remis en cause.

En septembre et novembre 1810, Jacques Herbain et Marie-Joseph Guillaume « vivaient, habitaient et mangeaient avec lui […] ils connaissaient plus que personne la situation morale, que cette situation affligeante était notoire pour eux. » Ils savaient qu’il n’était plus en état de gérer et administrer bi ses affaires personnelles ni celle de la Mairie de Dampicourt. Le sieur Dewez, bien qu’il ait assisté à leur cérémonie de mariage, ne se souvenait plus que Marie Joseph Guillaume fût mariée à Jacques Herbain.

Antérieurement aux ventes, « Marie Joseph Guillaume, après avoir employé différent moyen pour parvenir à son but, a menacé le sieur Jean Étienne Ferdiand Despré qu’il s’en repentirait, le traitant de vieux coquin, vieille bête […] et lui jetant au nez la porte de la chambre dans laquelle il était. » Les ventes opérées en 1810 seraient le résultat de manœuvres, de dol et de violence. (Audience des 10-02-1814 et 05-05-1814)

Avant la rédaction des actes, les défendeurs Herbain-Guillaume auraient promis à Jean-Etienne Ferdinand Deprez qu’ils s’obligeraient de payer ses dettes évaluées à 18 000 francs. Et, les défendeurs se seraient vantés d’arriver à faire abandonner (départir) les dettes par le sieur Deprez.

La procédure avance lentement. Le 15 juin 1813, Jean-Baptiste Saint-Mard est convoqué pour comparaître à Neufchâteau. L’huissier Burton remet la citation à Thérèse Gérard, domestique de Jean-Baptiste.

Le tribunal admet les demandeurs et intervenants « à faire la preuve qu’ils ont offerte ». Nous ne connaissons pas les décisions du tribunal. L’affaire est portée par-devant la Cour Impériale de Metz qui rend un arrêt en appel le 10 février 1814. À l’audience du 19 mars 1818, la question de la légalité de l’arrêt sera posée. De droit, la Cour de Metz est restée compétente jusqu’en avril 1814, époque de la première abdication de Napoléon 1er.

Le 24 mai 1814 par un jugement du tribunal de première instance de Neufchâteau nomme Jean-Baptiste St Mard « gardien judiciaire aux immeubles compris aux ventes notariées des vingt-cinq septembre et dix-huit novembre mil huit cent dix, passées par feu le Sieur Jean Étienne Ferdinand Desprez. » Le 6 juin 1814, il est cité à comparaître par-devant le Juge Dewez à la Chambre du Conseil pour y prêter serment et déposer dans l’enquête que le requérant d’Arimont entend faire exécuter.

Il opère le 18 juin 1814 [28], 12 février 1815 [29] et 12 février 1816 [30], à la location publique de différents biens immobiliers et à la vente de denrées appartenant à feu Jean Étienne Ferdinand Deprez de Barchon.

Jean Baptiste Saint-Mard décède à Velosnes, le dix-neuf juillet 1816. Le tribunal doit procéder à son remplacement. Jean-Baptiste n’a pas pu rendre compte de sa gestion et administration des biens immeubles situés au ban et finage de Dampicourt. Sa veuve Anne Marie Simon doit faire face à de nombreuses difficultés liées à leur exil à Velosnes. Anne Marie Simon est convoquée le 28 janvier 1818 au tribunal de première instance de Montmédy. Le sieur Lambert réclame le compte de gestion. Il a été nommé séquestre par jugement du 8 août 1816 (Neufchâteau) en remplacement de Jean-Baptiste Saint-Mard.

Anne Marie Simon par son avocat maître Guiot, consent à rendre l’état demandé et le tribunal de Montmédy lui accorde un délai d’un mois.

Le 15 février 1823, un dernier acte conclut l’affaire dans le chef d’Anne Marie Simon veuve Saint-Mard [31]. C’est une quittance pour une somme de 1.128 francs et 17 centimes faisant reliquat du compte de séquestre judiciaire et 2 francs 50 centimes d’intérêts. Anne Marie Simon est autorisée à retenir une somme de 101 francs et 68 centimes.

Après moult péripéties, l’affaire semble être jugée le 10 juin 1822. Nous ne connaissons pas la fin de l’histoire. Pour nous, cela n’a pas beaucoup d’importance. Le cadre de l’intervention de Jean-Baptiste est bien circonscrit. Maître Tinant s’oppose aux conclusions de Maître Jacquier. C’est de bonne guerre, chacun défend son client. Les arguments du premier ne sont pas dénués d’intérêt même si la sénilité de Jean Étienne Ferdinand est bien établie.

Mais, c’est une autre histoire, celle de la famille Deprez de Barchon.

Déménagement à Velosnes : un exil pour Anne Marie Simon

Au printemps 1816, Jean-Baptiste Saint Mard (1767-1816) délaisse la ferme de Dampicourt. Avec sa femme et ses fils, il s’installe à Velosnes, proche village français du canton de Montmédy. Il n’est pas nécessaire d’imaginer une histoire rocambolesque, romantique, pour expliquer son déménagement certes en partie précipité. S’il s’était compromis, il aurait fui en juin 1815. Il ne l’a pas fait.

À la suite du changement de souveraineté du Grand-duché de Luxembourg, il a perdu ses droits de citoyenneté. Français de naissance, il est devenu un étranger qui toutefois peut jouir des droits d’indigénat. D’autorité, ses enfants en vertu de l’article 8 de la loi fondamentale du Royaume des Pays-Bas sont considérés comme sujet néerlandais. Il ignore peut-être cette disposition.

En rentrant en France, il récupère la pleine entièreté de ses droits y compris ses droits politiques.

Après la chute de l’Empire napoléonien en 1814, la France n’administre plus les territoires conquis au cours de vingt dernières années. Le congrès de Vienne assemblé pour réorganiser, reconstituer les nations européennes instituera deux états indépendants ayant pour souverain le prince d’Orange-Nassau. Devenu le roi Guillaume Ier, en violation des traités de 1815, intégra le Grand-duché de Luxembourg à son Royaume des Pays-Bas.

Revenons à Jean Baptiste. Né en France, de père français, il perd ses attributions municipales. Le début de l’année 1815 marque la fin d’une époque. Il n’est plus adjoint ni officier de l’état civil, de plus les rares actes qu’il a signés furent contre signés par le nouveau mayeur. Sa signature n’avait plus de valeur légale.

Le 20 mars 1815, Napoléon reprend le pouvoir.Le 6 avril 1815, une circulaire du Directeur du Cercle de Neufchâteau oblige les habitants nés en France à signer une déclaration de renoncement à la France. La sœur de Jean-Baptiste vit de l’autre côté de la colline, à Thonne-la-Long (département de la Meuse) et son frère Dragonen demi-solde s’est retiré à Sedan. Il ne peut approuver cette proclamation, mais est contraint de s’incliner.

Texte de la déclaration : « Je promets de n’entretenir avec la France aucune communication quelconque, ni verbale ni par écrit, de porter toujours sur-le-champ à la communauté de l’Autorité locale, toutes les nouvelles et renseignements, et en général, tout ce qui peut m’être adressé venant de France, et de me soumettre et obéir en tout aux ordres émané des hautes puissances alliées ». [32]

J’ai trouvé une pareille prestation de serment dans les archives du département des Forêts pour la commune de Dampicourt [33]. Le 15 avril 1815, vingt habitants domiciliés à Dampicourt et nés en France signent cette promesse.

Ce serment est-il la cause de son départ pour Velosnes ?

Le 25 avril 1815, Jean-Baptiste Saint Mard, propriétaire et cultivateur à Dampicourt met en location pour une durée de six ou neuf années, 4 hectares 78 ares et 4,33 centiares de terres labourables et de prairies [34]. Sur base de la taille maximale de l’exploitation, telle que je l’ai estimé, les surfaces louées représentent 28,93 % du domaine.

L’adjudication publique des baux n’a pu s’organiser en dix jours. Le notaire, indépendamment de toutes les formalités administratives, en a assuré la publicité. La décision de Jean-Baptiste est antérieure au serment.

Son frère Jean Joseph, chef d’escadron au 2e régiment de carabiniers, est blessé à la défaite de Waterloo (18 juin 1815). Face aux nouvelles autorités hollandaises, cela ne devait pas jouer en sa faveur si cela était connu.

Le 28 mars 1816, Jean-Baptiste procède à une deuxième mise en location publique de 3 hectares 17 ares et 60 centiares de terre, soit 19,22 % de l’exploitation (baux à ferme d’une durée de 3, 6 ou 9 années) [35]. Dans cet acte, il est toujours annoncé comme demeurant à Dampicourt. Cela complique les choses, un départ au printemps 1816 implique qu’il abandonne la récolte de l’année.

Quelques semaines ou mois plus tard, le ménage s’installe dans une maison appartenant à Madame de Marche [36]. En 1829, le Baron de Marches signe une quittance sur acompte sur le canon de 1830 d’une ferme à Velosnes [37]. Un scénario se dessine. Une opportunité s’est présentée. Jean-Baptiste a trouvé une solution. Il a conclu un bail à ferme avec la sœur du baron de Marche. Il est tenu par de nouvelles obligations et contraint de déménager rapidement.

Du 28 mars 1816 au 19 juillet 1816 date de son décès, je n’ai déniché aucun acte qui permet de préciser l’époque de son départ.

Si le récit commence à se clarifier, il reste de petites zones d’ombre.

Anne Marie Simon après la mort de son époux doit gérer différentes difficultés. Dans un premier temps, son beau-frère Jean-Joseph Saint-Mard est son fondé de pouvoir. Par la suite, elle dirige et conserve le domaine de Dampicourt. (Voir article : le patrimoine de la communauté Jean-Baptiste Saint-Mard et Anne Marie Simon à Dampicourt. Sous-titre : Gestion du patrimoine.)

Les raisons du retour d’Anne Marie Simon et de deux de ses quatre fils à Dampicourt sont distinctes de la Révolution belge de septembre 1830. Son fils Jean Baptiste réside à Dampicourt déjà au mois de juillet 1830.



Notes et références

[1] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; mercredi 22 juillet 1789 : lettre de recommandation du Collège des Récollets de Virton.

[2] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; lundi 11 juillet 1791 : lettre de recommandation du Séminaire du Saint-Esprit de Paris.

[3] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; samedi 14 juillet 1792 : lettre de recommandation du Collège de la Sainte Trinité à Trèves.

[4] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; mercredi 22 juillet 1789 : lettre de recommandation du Collège de récollets de Virton.

[5] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; dimanche 9 août 1789 : lettre de confirmation de sacrement (paroisse de Thonne-les-Près).

[6] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; Août 1789 : diplôme en latin de l’évêché de Trèves.

[7] « Évêque suffragant de Trèves, il publie en 1763 un traité contestant l’autorité du pape Clément XIII. Il écrivit sous le pseudonyme de Justin FEBRONIUS, emprunt fait à sa nièce Justine qui était religieuse à Juvigny-sur-Loison (France). Sa publication fut mise à l’index par le pape. Il dut se rétracter, mais resta soutenu par l’empereur autrichien Joseph II qui fit appliquer le fébronisme dans ses états. Mgr Jean Nicolas de Hontheim, fut soutenu dans sa lutte contre l’autorité du pape par l’échevinat de Trèves et les évêques allemands. »

In ÉCOLE LES SOURCES (Virton) plaquette « Une des richesses de la Gaume. Le site classé de Montquintin. Rouvroy », janvier à juin 1995.

[8] Depuis 1730, un vaste mouvement a imposé la construction de « route royale » en France. C’est une véritable « révolution routière ». En 1789, 40.000 km de route fonctionnent et autant sont en construction. Des lignes régulières de diligences desservent la France depuis 1780. Sedan est à deux journées de Paris et Verdun à deux journées et demie. La ligne Paris — Verdun passe par Château-Thierry.

BIANCHI, Serge ; BIARD, Michel ; FORREST, Alan ; GRUTER, Édouard ; JACQUART, Jean. La terre et les paysans en France et Grande-Bretagne du début du 17e à la fin du 18e siècle. Armand Collin, Paris, 1999. Pages 143 et 156.

[9] Archives privées ; collection Anaïs Noël ; lundi 11 juillet 1791 : lettre de recommandation du Séminaire de Saint-Esprit à Paris.

[10] Le château, Grand Rue no 4 à Thonnelle (Meuse).

« En cette demeure de l’abbé de Coubreville, aurait dû s’achever dans la nuit du 21 au 22 juin 1791, le voyage de Louis XVI et de la famille royale interrompu à Varennes.

Offert par l’Association de Louis XVI en juin 1991. »

Quant au roi, il devait arriver à Thonnelle vers cinq heures du matin. Pour sa sécurité, un camp militaire était installé sur le plateau du « Haut de Forêt ».

In TOUSSAINT, Christian ; CADY, Gérard. Pays de Montmédy, Thonne-les-Prés, Thonnelle, village de la vallée de la Thonne. SI Montmédy, 1993.

[11] Source : Bistumsarchiv Trier

Jesuitenstrasse 13b

D 54 290 Trier

Marita Kohl (Archivarin), lettre du 3 septembre 1998, point no 2.

[12] De 1792 à 1794, la France et l’Autriche s’affrontent. D’avril 1792 à octobre 1792, des troupes françaises campent à Dampicourt et Montquintin.

In AUTPHENNE, R. Dampicourt, Montquintin, Couvreux, nos trois villages dans les guerres. 1987.

[13] Jean-François Joannes fils de Pierre Joannes et Jeanne Gravet est baptisé à Dampicourt le 3 décembre 1730. [Les archives de l’État en Belgique [https://genealogie.arch.be/] ; Luxembourg, Arrondissements Arlon et Neufchâteau ; Montquintin (Rouvroy), paroisse Saint Quentin ; registres paroissiaux, 0846_000_00426_***, 1706-1765, 83 vues, vue 36 gauche (no 22).]

Il est décédé le jeudi 10 avril 1806, à l’âge de 75 ans, à Dampicourt. [Sources : Les archives de l’État en Belgique [https://genealogie.arch.be/] ; Luxembourg, Arrondissements Arlon et Neufchâteau ; Dampicourt ; état civil — actes ; 49043 / 0_1161, 1796-1821, 1625 vues, vue 1267 droite.]

Certaines sources généalogiques, Jean Mathieu, Claude Le Quéré, marie Jean-François avec Marie Christine Honnet ou Houny et lui attribue un fils Jean. Jean se mariera avec Marguerite Bourguignon en 1785 à Sommethonne et aura plusieurs enfants. Ceci n’est pas compatible avec la succession qui suit. En effet, les frères et sœurs, neveux et nièces ne pourraient être les héritiers de Jean-François Joannes si celui-ci avait une descendance. Nous devons admettre l’existence d’une erreur dans la généalogique Joannes.

[14] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[15] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[16] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[17] Le dénommé dom Ambroise Joannes n’est pas identifié.

[18] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[19] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[20] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[21] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Archives de l’Administration du département des Forêts ; 425a-2 Personnel de l’autorité locale (an IX-1811) ; Mairie de Dampicourt.

[22] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Archives de l’Administration du département des Forêts ; 425a-2 Personnel de l’autorité locale (an IX-1811) ; Mairie de Dampicourt.

[23] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[24] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Justice de paix du canton de Virton ; no 121 ; 2 juin 1812.

[25] Archives privées ; collection Anaïs Noël.

[26] JOANNES, Bernard. Et si Dampicourt et Mathon m’étaient contés… Dampicourt, Les éditions de la Joyeuserie, 2005, pp.120-121.

[27] Archives privées — collection Anaïs Noël.

[28] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Notariat de Virton ; PAPIER Bernard ; No 41 ; 18 juin 1814.

[29] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Notariat de Virton ; PAPIER Bernard ; No 31 ; 12 février 1815.

[30] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Notariat de Virton ; PAPIER Bernard ; No 23 ; 12 février 1816.

[31] Archives privées - collection Anaïs Noël.

[32] ROGER, Paul. Notices historiques sur Virton, 1932, page 229.

[33] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Archives de l’Administration du département des Forêts ; 425a-7 Police générale. Surveillance. Passeports. Ports d’armes (an III-1815).

[34] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Notariat de Virton ; PAPIER Bernard ; No 84 ; 25 avril 1815.

[35] Belgique : Archives de l’État à Arlon ; Notariat de Virton ; PAPIER Bernard ; No 67 ; 28 mars 1816.

[36] Source : Archives privées — collection Anaïs Noël : Lundi 11 novembre 1816 : Inventaire après décès des biens de Jean-Baptiste St Mard époux Anne Marie Simon.

[37] Archives privées — collection Anaïs Noël : Vendredi 30 octobre 1829 : Baron de Marches — Quittance sur acompte sur le canon de 1830 d’une ferme à Velosnes.